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parole de Dieu et il ne trouvera dans l’Écriture aucune contrariété.
12. Suppose un homme qui fait l’aumône dans le plus grand secret et jusqu’à ne se laisser pas connaître, s’il est possible, de celui même à qui il donne, ce qui aurait lieu si pour échapper à ses regards il lui faisait trouver ses libéralités au lieu de les lui présenter. Que peut-il davantage pour rendre sa bienfaisance secrète ? Mais alors il rencontre et il ne pratique pas la recommandation suivante : « Que vos œuvres brillent devant les hommes, de façon qu’ils voient vos bonnes actions. » Personne en effet ne voit ce qu’il fait ni n’est porté à l’imiter ; et autant qu’il dépend de lui, il condamne les autres hommes à la stérilité ; car si on travaille à rie laisser pas voir le bien qu’on opère, ils s’imagineront que personne n’observe les divins commandements ; et pourtant il y a plus de charité à donner bon exemple à l’âme, qu’à nourrir le corps. Autre supposition : il s’agit de quelqu’un qui publie et vante ses aumônes, qui n’a d’autre but que d’y chercher sa gloire ; ses œuvres brillent devant les hommes. Évidemment il ne manque pas à cette recommandation ; mais il blesse cette autre : « Que ton aumône soit secrète ; » et il se relâche bientôt s’il rencontre des impies qui vont jusqu’à blâmer sa conduite. Esclave des louanges, il ressemble aux vierges qui ne portaient pas d’huile sur elles. Vous connaissez effectivement ces cinq vierges folles qui ne portaient pas d’huile sur elles, et en même temps les vierges sages qui en portaient toujours. Toutes avaient des lampes qui brillaient : mais les unes n’avaient pas et les autres avaient de quoi les entretenir, ce qui établissait entre elles la distinction des vierges folles et des vierges sages [1]. Qu’est-ce donc que porter de l’huile sur soi, sinon chercher en conscience à plaire à Dieu par ses bonnes œuvres, sans se proposer pour but le plaisir d’être loué par les hommes, qui ne peuvent lire dans l’âme ; car si l’homme peut voir ce que nous faisons, Dieu seul connaît quelle intention nous porte à agir.
13. Représentons-nous maintenant quelqu’un qui observe ces deux préceptes et qui se montre aussi fidèle à l’un qu’à l’autre. À celui qui a faim il donne du pain et il en donne devant ceux qu’il veut porter à l’imiter, s’inspirant de ces paroles de l’Apôtre : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ [2]. » Il donne donc du pain au pauvre ; on voit son œuvre, mais sa piété reste dans son cœur. A-t-il en vue sa gloire ou la gloire de Dieu ? Nul ne le sait, nul ne peut le déterminer parmi les hommes ; ceux toutefois que la bonne volonté porte à l’imiter regardent comme inspiré par la piété du cœur ce qu’ils voient faire de bien, et ils bénissent Dieu dont la parole et la grâce déterminent ces bonnes œuvres. Ainsi l’action paraît pour que les hommes la voient et glorifient leur Père qui est dans les cieux ; mais le cœur voudrait que l’aumône fût secrète pour en recevoir la récompense du Père saint qui voit ce qui est caché. Ainsi le tempérament est gardé, aucune obligation n’est méprisée, elles sont toutes deux accomplies parfaitement. On s’est gardé de pratiquer la justice devant les hommes, c’est-à-dire de se proposer leurs louanges pour fin dernière, puisqu’en faisant le bien on a cherché non pas à se distinguer mais à honorer Dieu ; et parce que cette intention est intérieure, cachée dans la conscience, l’aumône dans ce sens est secrète, appelant la récompense de Celui qui voit tout. Qui peut effectivement, quand il agit, mettre à nu son cœur aux yeux des hommes et leur faire voir l’intention qui le dirige ?
14. Aussi, mes frères, considérez avec quelle exactitude le Seigneur a pesé ses paroles. Remarquez bien celles-ci : « Gardez-vous d’accomplir votre justice devant les hommes pour en être vus. » En se proposant pour fin d’être vu des hommes, on devient répréhensible, on est coupable de vouloir faire le bien pour être loué par des mortels, sans chercher autre chose. Voilà aussi ce que blâme le Seigneur dans les paroles citées. Mais en nous commandant de montrer nos bonnes œuvres, il ne veut pas que nous nous proposions pour but d’être seulement remarqués par les hommes et loués par eux ; il monte plus haut, jusqu’à la gloire de Dieu, et il exige que nous l’ayons en vue quand nous agissons. « Que vos œuvres, dit-il, brillent devant les hommes, de sorte qu’ils voient vos bonnes actions. »
Ce n’est pas cela pourtant que tu dois ambitionner. Qu’est-ce donc ? Le Sauveur ajoute : « Et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » En cherchant de la sorte la gloire de Dieu, ne crains pas d’être remarqué par les hommes : ton aumône n’en est pas moins dans ce secret sanctuaire où le seul regard de Dieu voit clairement que tu n’as en vue que sa gloire.

  1. Mt. 25, 1-13
  2. 1 Cor. 4, 16 ; 11, 1