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ne furent-elles pas données à Paul ? N’y eut-il que Pierre pour les recevoir et furent-elles refusées à Jean, à Jacques et aux autres Apôtres ? Ne sont-elles pas dans les mains de l’Église, où chaque jour se remettent les péchés ? Oui, comme en Pierre se personnifiait l’Église, à l’Église fut donné ce qui le fut à Pierre en particulier.C'est ainsi que cet Apôtre représentait l’Église, ou le corps du Christ. Qu’il admette donc les gentils ; ils sont purifiés, puisque leurs iniquités leur sont remises, et c’est pour ce motif que le gentil Corneille ainsi que les gentils qui l’accompagnaient ont député vers lui une ambassade. Les aumônes de ce gentil avaient été agréables au ciel et l’avaient purifié, jusqu’à un certain point ; il n’y avait plus qu’à l’incorporer, comme un bon aliment, à l’Église ou au corps de Jésus-Christ. Pierre craignait toutefois de livrer l’Évangile aux païens ; car les croyants de la circoncision s’opposaient à ce que les Apôtres enseignassent la foi chrétienne à des incirconcis ; ils prétendaient que ces derniers ne pouvaient participer aux grâces de l’Évangile, sans avoir reçu la circoncision donnée à leurs pères.
8. La vision de Pierre mit fin à cette hésitation ; aussi l’Esprit-Saint lui dit-il ensuite de descendre et d’accompagner les ambassadeurs de Corneille ; ce qu’il fit. Corneille en effet et les gentils d’avec lui étaient considérés comme ces animaux que Pierre avait vus sur la nappe ; mais comme Dieu les avait purifiés déjà en agréant leurs aumônes, il fallait les tuer et les manger, en d’autres fermes, détruire en eux la vie ancienne qu’ils avaient passée dans l’ignorance du Christ et les unir à son corps en leur faisant puiser une vie nouvelle dans la communion de l’Église. Aussi Pierre en arrivant près d’eux leur rappela-t-il en peu de mots sa vision. « Vous savez vous-mêmes, leur dit-il, combien il est défendu à un Juif de fréquenter ou même d’approcher un étranger ; mais Dieu m’a montré à ne traiter aucun homme d’impur ou de souillé. » C’est effectivement ce que lui fit entendre le Seigneur par ces mots : « N’appelle pas impur, toi, ce que Dieu a purifié. » Plus tard encore, comme il venait visiter les frères à Jérusalem et que plusieurs se plaignaient de voir l’Évangile livré aux gentils, il leur rappela, pour les calmer, la vision qu’il avait eue [1]. L’aurait-il rappelée, si elle n’avait le sens que nous venons d’indiquer ?
9. On pourrait peut-être demander encore pourquoi ces animaux paraissaient être sur une nappe de lin. Ce n’est pas sans motif assurément. Le lin effectivement n’est pas rongé par les vers qui rongent les autres tissus. Que chacun donc bannisse de son cœur la corruption des passions mauvaises, et s’affermisse assez énergiquement dans la foi pour ne pas se laisser entamer parles mauvaises pensées, lesquelles sont comme des vers rongeurs : c’est le moyen de profiter de la leçon mystérieuse que nous donne le lin, symbole de l’Église.
10. Pourquoi fut-il abaissé du haut du ciel à trois reprises ? Parce que tous les gentils dispersés aux quatre extrémités du monde, qu’occupe l’Église et que désignaient les quatre cordons qui soutenaient les nappes, sont baptisés au nom de la Trinité Sainte ; sont renouvelés par la foi au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, pour entrer dans société et la communion des saints. Ces quatre cordons de lin et cet abaissement répété trois fois, rappellent aussi les douze Apôtres, ou trois multiplié par quatre, puisque trois fois quatre font douze. Assez, je crois, sur cette vision.
11. Nous avons ajourné aussi une autre question, celle de savoir pourquoi le Seigneur, dans son discours sur la montagne, dit d’abord à ses disciples : « Que vos œuvres brillent devant les hommes, de façon qu’ils voient vos bonnes actions et glorifient votre Père qui est dans les cieux ; » et un peu après, toujours dans le même discours : « Gardez-vous d’accomplir votre justice devant les hommes, pour en être vus ; » et encore : « Fais ton aumône en secret, et ton Père, qui voit dans le secret, te récompensera. » On flotte souvent dans la pratique entre ces deux préceptes et on ne sait auquel obtempérer pour obéir au Seigneur qui les a imposés l’un et l’autre [2]. Comment faire briller nos bonnes œuvres devant les hommes, en sorte qu’ils voient réellement nos actions louables, si d’autre part nous sommes obligés de tenir nos aumônes secrètes ? En voulant observer le premier de ces préceptes, je viole le second, et je pèche si j’accomplis celui-ci. Il faut donc trouver entre ces deux passages de l’Écriture quelque tempérament et montrer que les divins préceptes ne sauraient être contradictoires. L’opposition qui semble se révéler dans les termes demande un grand calme pour les comprendre ; que chacun soit en paix intérieurement avec la

  1. Act. XI
  2. Voir ci-dessus serm. 41. n° 13 ; Serm. 54, n° 1.