Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/603

Cette page n’a pas encore été corrigée

donner lieu aux ignorants d’acheter ces viandes sacrifiées aux idoles[1]. C’était pour rassurer la conscience à ce sujet que le même Apôtre disait dans une autre Épître : « Mangez de tout ce qui se vend à la boucherie, ne faisant aucune question par conscience ; car au Seigneur est la terre et toute sa plénitude. » Il ajoutait : « Si un infidèle vous invite et que vous vouliez aller, mangez de tout ce qu’on vous servira, ne faisant aucune distinction par motif de conscience. Mais si quelqu’un dit : Ceci a été immolé aux idoles, n’en mangez point, à cause de celui qui vous a avertis, et par conscience [2]. » D’où il suit qu’en cette matière la pureté ou l’impureté consiste, non pas dans le toucher proprement dit, mais à avoir la conscience nette ou souillée.
4. Aussi les Chrétiens reçurent sous ce rapport une franchise que n’avaient pas les Juifs. Car si les Juifs ne pouvaient pas manger de certains animaux, c’est qu’ils étaient, comme nous l’avons remarqué, des figures ou des ombres de ce qui devait se faire. Ainsi leur 'circoncision désignait la circoncision du cœur, quoi qu’ils ne voulussent point de celle-ci, se contentant de porter celle-là sur leur chair : de la même manière ces aliments permis ou défendus étaient des préceptes mystérieux et des signes de l’avenir. Ils pouvaient, d’après l’Écriture, manger des animaux qui ruminent et qui ont la corne fendue, n1'ais non pas de ceux à qui manquent l’un ou l’autre ou bien l’un et l’autre de ces caractères[3]. C’était pour désigner certains hommes qui ne sont pas de la société des saints. En effet la corne fendue a rapport à la conduite et la rumination rappelle une propriété de la sagesse. Quelle relation entre la corne fendue et la conduite ? C’est que les animaux dont la corne est fendue ne tombent pas aisément : or le péché n’est-il pas une chute ? Quelle relation aussi entre la sagesse et le caractère des ruminants ? C’est qu’il est dit dans l’Écriture : « Un trésor précieux repose dans la bouche du sage, mais l’insensé l’engloutit[4]. » Ainsi écouter la vérité et l’oublier ensuite par négligence, c’est comme l’engloutir, c’est n’en conserver pas le goût, c’est l’ensevelir dans l’oubli même ; tandis que méditer la loi du Seigneur et le jour et la nuit, c’est comme la ruminer et en savourer les délices dans son cœur. La défense faite aux Juifs signifie donc qu’à l’Église ou au corps du Christ, qu’à la grâce et à la société des saints n’appartiennent pas ceux qui écoutent indolemment la divine parole, ni ceux qui vivent mal, bien moins encore ceux qui tout à la fois écoutent mal et vivent mal.
5. Ainsi en est-il des autres observances semblables imposées aux Juifs ; elles sont des ombres figuratives de l’avenir ; et depuis, l’avènement de la lumière du monde, de Jésus-Christ notre Seigneur, quand on les lit c’est seulement pour en avoir l’intelligence et non pour les pratiquer. Il est donc permis aux chrétiens de ne pas se conformer à ces inutiles coutumes et de manger ce qu’ils veulent, pourvu qu’ils le fassent avec modération, bénédiction et action de grâces. Si donc il a été dit à Pierre : « Tue et mange, c’était peut-être pour lui faire entendre de n’observer plus ces usages des Juifs ; mais ce n’était sûrement pas pour lui recommander la gourmandise ni une hideuse gloutonnerie.
6. Ce qui prouve toutefois qu’il s’agissait ici d’un enseignement figuré, c’est que dans cette espèce de vase il y avait des serpents. Pierre pouvait-il en manger ? Quel est alors le sens de cette vision ? Cette nappe immense désigne l’Église, et les quatre coins qui la tenaient suspendue représentent les quatre parties du monde où s’étend l’Église, puisqu’elle couvre l’univers. Ainsi vouloir former un parti et se séparer de l’Église universelle, c’est n’être plus compris dans la vision mystérieuse, et n’y être plus compris, c’est n’avoir plus les clefs données à Pierre. Si en effet le Seigneur dit qu’à la fin du siècle ses saints seront rassemblés des quatre vents du ciel [5]; c’est qu’aujourd’hui la foi de l’Évangile se répand aux quatre points cardinaux. Les animaux montrés à Pierre représentent donc les gentils. Car immondes et livrés à leurs erreurs, à leurs superstitions et à leurs convoitises avant l’avènement du Christ ; les gentils ont reçu de lui le pardon de leurs fautes et sont ainsi devenus purs. Et une fois leurs péchés pardonnés, pourquoi ne feraient-ils point partie du corps du Christ, c’est-à-dire de l’Église représentée dans, la personne de Pierre ?
7. Plusieurs passages des Écritures montrent effectivement que Pierre représente l’Église ; on le voit surtout dans ces paroles qui lui furent adressées : « Je te donne les clefs du royaume des cieux. Tout ce que tu lieras sur la terre, sera lié aussi dans le ciel, et tous ce que tu délieras sur la terre dans le ciel aussi sera délié[6]. N’y eut-il que Pierre pour recevoir ces clefs et

  1. Tit. 1, 6 ; Rom. 14, 20
  2. 1 Cor. 10, 25-28
  3. Deut. XIV
  4. Prov. 21, 20, sel. LXX
  5. Mt. 24, 3
  6. Id. 16, 19