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Comment cela ? C’est parce que tu as eu pour le commandement de la crainte et non de l’amour. Tu as craint le châtiment et tu n’as pas aimé la justice. Or, quand on craint le châtiment ; on voudrait s’il était possible faire ce qui plaît sans avoir rien à redouter. Ainsi, Dieu défend l’adultère : tu as bien en vue une femme étrangère, mais tu ne l’abordes pas, tu ne fais pas le mal avec elle ; tu en as bien l’occasion, le temps et 1e lieu sont propices, il n’y a pas de témoins, nonobstant tu ne commets pas le crime. Pourquoi ? Tu as peur du châtiment. – Personne ne le saura. — Dieu ne le saura-t-il pas non plus ? – Ainsi c’est parce que l’œil de Dieu te voit, que tu t’abstiens de ce que tu allais faire. Mais ici ne crains-tu pas plus les menaces de Dieu, que tu n’aimes ses ordres ? En effet, pourquoi t’abstiens-tu ? Parce qu’en faisant le mal tu serais jeté en enfer. C’est donc le feu que tu redoutes. Ah ! si tu aimais la chasteté, tu t’abstiendrais dans le cas même où tu n’aurais absolument rien à craindre ; et si Dieu te disait : Fais ce que tu veux, je ne te condamnerai pas, je ne te condamnerai pas à l’enfer, seulement tu ne me verras pas ; en t’abstenant après cette menace, ce serait l’amour de Dieu et non la crainte de son jugement qui t’inspirerait. Mais t’abstiendrais-tu ? Il est possible, ce n’est pas à moi d’en juger. Quoi qu’il en soit, tues aidé, si tu t’abstiens, par la grâce qui fait les saints, et c’est elle qui t’inspire une juste horreur pour l’impureté de l’adultère, et pour ton Maître un amour vrai qui te fait soupirer après ses promesses plutôt que de redouter ses menaces ; oui, c’est la grâce et garde-toi de revendiquer ce mérite, de l’attribuer à ta nature. Tu t’abstiens avec plaisir, c’est bien ; avec amour, c’est bien encore ; j’y applaudis de tout cœur. C’est la charité qui t’inspire cette bonne volonté pratique, et ta confiance en Dieu te fait goûter les douceurs divines.
4. Mais d’où te vient cette charité ? si toutefois tu l’as réellement ; car je crains encore que ce ne soit la crainte qui t’anime et que nonobstant tu ne t’estimes un grand homme. Oui tu es grand si tu agis par charité. Mais as-tu la charité ? – Je l’ai, dis-tu. – D’où te vient-elle ? – De moi-même. – Ah ! si elle te vient de toi-même, que tues loin encore de la divine douceur ! C’est toi qu’il te faudra aimer, car ce sera aimer la source même de la charité. Mais je te prouve que tu ne l’as pas, et la preuve que tu ne l’as pas, c’est que tu t’attribues un bien si précieux ; car si tu la possédais réellement, tu saurais d’où elle te vient. En prétendant que tu l’as par toi-même, ne la considères-tu pas comme quelque chose de très peu important ? Et néanmoins, quand tu parlerais les langues des hommes – et des Anges, si tu n’avais pas la charité, tu ne serais qu’un airain sonore et une cymbale retentissante. Quand encore tu comprendrais tous – les mystères, que tu posséderais toute la science, tous les dons prophétiques et toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, rien de tout cela, sans la charité, ne pourrait te servir. Si même tu distribuais tout ton avoir aux pauvres et que tu livrasses ton corps pour être brûlé, sans la charité, tu ne serais rien[1]. Quelle place tient donc cette charité dont l’absence rend tout inutile ? Compare-la, non pas à ta foi, non pas à ta science, non pas à ta langue, non pas à des choses moindres encore, l’œil, la main, le pied, le dernier de te membres : quel rapprochement établir entre elle et ces biens minimes ? Et quand Dieu seul a pu te donner l’œil et la main, tu ne devrais la charité qu’à toi ? N’est-ce pas abaisser Dieu, que de prétendre être toi-même l’auteur de cette charité qui l’emporte sur tout ! Le Seigneur peut-il te donner davantage ? Tout ce qu’il peut te donner n’est-il pas moindre nécessairement ? La charité l’emporte sur tout, et t’est toi qui te l’es donnée ? Si tu l’as, elle ne vient pas de toi ; qu’as-tu en effet que tu ne l’aies reçu[2] ? Qui donc en a fait don, soit à moi, soit à toi ? C’est Dieu. Reconnais en lui ton bienfaiteur, pour ne sentir pas sa main vengeresse. Oui, sur la foi des Écritures, c’est Dieu qui t’a donné la charité, ce bien immense, ce bien qui surpasse tout bien. Dieu te l’a donnée, « puisque la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs ; par toi ? Nullement, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné[3]. »
5. Revenons maintenant à notre esclave, revenons à la proposition que j’ai établie en ces termes : La Loi effraie ceux qui présument d’eux-mêmes, la grâce soutient ceux qui espèrent en Dieu. Vois en effet l’esclave dont il a été fait mention. Il sent dans ses membres une loi qui résiste à la loi de son esprit et qui se l’assujettit à elle-même, toute charnelle qu’elle soit. Lé voilà donc vaincu ; entraîné, enchaîné, sous le joug. Que lui sert, hélas ! d’avoir entendu : « Tu ne convoiteras pas ? » L’ennemi lui a été signalé, mais il ne l’a pas vaincu. Car il ignorait la concupiscence, c’est-à-dire son ennemi, « si la Loi ne

  1. 1 Cor. 13, 1-3
  2. Id. 4, 7
  3. Rom. 5, 5