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de nous son corps, toujours nous le verrions sensiblement et nous ne pourrions croire en lui d’une manière purement spirituelle ; cette foi néanmoins est nécessaire pour nous l’aire mériter de contempler avec un cœur pénétré de justice et comblé de bonheur, le Verbe même de Dieu dans le sein de son Père, ce Verbe-Dieu par qui tout a été fait et qui s’est fait chair pour habiter parmi nous. Mais si on croit de, cœur pour être justifié et non pas en touchant de la main, n’est-ce pas avec raison que notre justice est la condamnation de ce monde ; qui ne veut croire que ce qu’il voit ? Or, c’est pour nous communiquer cette justice de la foi qui sera la condamnation du monde incrédule, que le Seigneur disait : « À cause de la justice, car je vais à, mon Père et vous ne me verrez plus. » En d’autres termes Votre justice sera de croire en moi, votre Médiateur, en moi que vous saurez, avec une pleine certitude ; être remonté vers mon Père après ma résurrection, quoique vous ne me voyiez point d’une manière sensible ; et ainsi réconciliés par moi vous pourrez parvenir à voir Dieu spirituellement. Aussi une femme qui figurait l’Église étant tombée à ses pieds quand il fut ressuscité, Jésus lui dit : « Garde-toi de me toucher, puisque je ne suis point encore remonté vers mon Père [1]. » Paroles mystérieuses dont le sens est celui-ci : Garde-toi d’avoir en moi une foi charnelle en l’appuyant sur le contact corporel ; tu auras en moi une foi spirituelle lorsqu’après mon retour vers mon Père tu ne me toucheras plus que spirituellement. Heureux en effet ceux qui croient sans voir, et c’est en cela que consiste la justice de la foi. Or, comme le monde ne l’a pas et que nous l’avons, le juste vivant de la foi[2], nous servons à le condamner. Ainsi donc, soit pour exprimer qu’en ressuscitant avec Jésus-Christ et qu’en montant avec lui vers son Père nous perfectionnons en nous l’invisible justice ; soit pour signifier que croyant sans voir ; nous vivons de la foi, comme il est écrit du juste, le Sauveur a dit : « À cause de la justice, car je vais à mon Père, et vous ne me verrez plus. »
5. Que le monde, pour s’excuser de ne pas croire au Christ, ne prétexte pas que le démon l’en empêche. Pour ceux qui croient en effet le prince du monde est banni [3], et il ne saurait plus agir dans les cœurs des hommes dont le Christ s’est rendu maître par la foi, comme il agit sur les fils de la défiance[4], qu’il pousse trop souvent à tenter et à tourmenter les justes. Car puisqu’il est banni du cœur, lui qui y régnait en tyran, il ne peut plus qu’attaquer par l’extérieur ; et quoique le Seigneur se serve de ses persécutions mêmes pour avancer les humbles dans la justice[5] ; par le fait de son bannissement du cœur, il est jugé. Or ce jugement sert encore à la condamnation du monde. Comment en effet le monde qui refuse de croire au Christ serait-il autorisé à se plaindre du démon, puisque, depuis qu’il est jugé, c’est-à-dire banni et réduit, pour nous exercer à la vertu, à nous attaquer en dehors seulement, le démon est vaincu, non seulement par des hommes, mais par des femmes, par des enfants et de jeunes filles couvertes aussi de la gloire du martyre ? Et par qui ceux-ci l’ont-ils vaincu, sinon par Celui à qui ils ont donné leur foi ; par celui qu’ils ont aimé sans le voir et dont l’empire en s’établissant dans leurs cœurs a renversé l’affreuse domination qui les tenait sous le joug ? Comme tout cela est dû à la grâce, c’est-à-dire au Saint-Esprit, on comprend pourquoi c’est l’Esprit-Saint qui accuse le monde « à cause du péché », puisque le monde ne croit pas au Christ ; « à cause de la justice », puisque ceux qui avaient bonne volonté ont cru en lui tout en ne le voyant pas, et espéré de parvenir aussi, par la vertu de sa résurrection, à une résurrection pleine ; « à cause enfin du jugement », attendu que si les mondains voulaient croire à leur tour, nul ne les empêcherait, « puisque le prince de ce monde est déjà jugé. »

  1. Jn. 20, 17
  2. Hab. 11, 4 ; Rom. 1, 17
  3. Jn. 12, 31
  4. Eph. 2, 2
  5. Ps. 24, 9