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10. Que votre charité remarque donc bien ces paroles : « Va, vends tout ce que tu as donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; « viens ensuite et me suis. » Pierre est devenu parfait ; mais il s’est mûri quand le Seigneur était déjà assis à la droite de son Père. Il ne l’était point, lorsqu’il suivait le Seigneur marchant vers sa passion ; et il l’est devenu quand il n’avait plus personne à suivre sur la terre. Que dis-je ? Tu as toujours devant toi quelqu’un à suivre. Le Seigneur en te donnant l’Évangile t’a donné un modèle, il y est lui-même avec toi, et il n’a point trompé lorsqu’il a dit : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle[1]. » Ainsi donc suis le Seigneur. Qu’est-ce à dire ? Imite-le. Qu’est-ce à dire encore ? « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. » En effet, « quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien[2]. » C’est donc à la charité que j’excite votre charité, et je ne le ferais pas si vous n’en aviez déjà quelque peu. Je vous invite ainsi à poursuivre ce que vous avez entrepris, à perfectionner ce que vous avez commencé. Je vous prie aussi d’intercéder pour moi afin qu’en moi également se consomme la vertu que je vous enseigne. Tous en effet nous sommes imparfaits, et là seulement où tout est parfait nous atteindrons la perfection. « Mes frères, dit l’Apôtre Paul, je ne crois pas être arrivé. » Il s’explique : « Non que déjà j’aie atteint jusque-là ou que je sois déjà parfait[3]. » Quel homme oserait donc se vanter de l’être ? Ah ! plutôt, pour mériter d’être parfaits, confessons que nous sommes imparfaits.


SERMON CXLIII. JÉSUS RETOURNANT AU CIEL[4].

ANALYSE. – En expliquant le passage de l’Évangile où Notre-Seigneur représente comme utile au monde son retour au ciel, saint Augustin constate en quoi consiste l’utilité de ce retour. C’est que, dit-il, la foi est la vie du juste. Or en quittant la terre le Fils de Dieu exerce et développe la foi, et c’est ainsi que son absence même nous devient salutaire.


1. Le remède à toutes les blessures de l’âme, l’unique moyen donné aux hommes d’expier leurs péchés, c’est de croire au Christ : et nul absolument ne peut se purifier, soit du péché originel, contracté en Adam, en qui tous ont péché et sont devenus par nature enfants de colère[5], soit des péchés personnels, commis ensuite pour n’avoir pas réprimé, mais pour avoir suivi en esclave la concupiscence de la chair en s’abandonnant aux crimes et aux infamies ; sans s’unir intimement au corps de ce Christ divin qui a été conçu sans aucun plaisir charnel, sans aucune délectation coupable, nourri sans péché dans le sein maternel, et exempt de toute faute et de toute parole artificieuse[6]. Croire en lui, effectivement, c’est devenir enfants de Dieu ; car on puise en Dieu une vie nouvelle en recevant la, grâce de l’adoption que communique la foi en Jésus-Christ notre Seigneur. Aussi, mes très-chers, c’est avec raison que ce même Sauveur et Seigneur ne parle ici que du péché dont le Saint-Esprit convainc le monde, et qui consiste à ne croire pas en lui. « Je vous dis la vérité, déclare-t-il, il vous est avantageux que je m’en aille, car si je ne m’en vais point, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je m’en vais, je vous l’enverrai. Et lorsqu’il sera venu, il convaincra le monde en ce qui touche le péché, et la justice, et le jugement : le péché, parce qu’on n’a pas cru en moi ; la justice, parce que je vais à mon Père et que vous ne me verrez plus ; et le jugement, parce que le prince de ce monde est déjà jugé. ».
2. Ainsi le seul péché dont il veut que soit convaincu le monde, c’est de n’avoir pas cru en lui. La foi en lui déliant tous les péchés, n’était-il pas juste de n’imputer d’autre péché que celui qui les mantient tous ? Depuis cette même foi faisant puiser en Dieu une vie divine et rendant enfants de Dieu, « puisqu’il a donné à ceux

  1. Mt. 28, 20
  2. 2 Cor. 13, 1-3
  3. Phil. 3, 13, 12
  4. Jn. 16, 7-11
  5. Eph. 2, 3
  6. 1 Pi. 2, 22