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plusieurs membres et chacun d’eux peut faire ce que ne saurait un autre. Le Créateur, en formant ce corps ; n’a donné ni à l’oreille de voir, ni à l’œil d’entendre, ni au front de flairer, ni à la main de goûter, non ; mais il a donné à tous les membres la santé, l’harmonie entre eux et l’union ; il les a tous animés et unis par un même souffle. C’est ainsi que parmi les hommes il n’a pas donné aux uns de ressusciter les morts ni à d’autres le pouvoir d’enseigner ; à tous cependant il a donné quelque chose. Quoi ? « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur[1]. » Ainsi nous l’avons entendu nous dire : « Je suis doux et humble de cœur. » Eh bien ! mes frères, tout le remède qui nous guérira consiste à apprendre de lui qu’il est « doux et humble de cœur. » Que sert de faire des miracles et d’être orgueilleux, de n’être ni doux ni humble de cœur N’est-ce pas se mettre au nombre de ces malheureux qui viendront, à la fin des siècles, lui dire : « N’avons-nous pas prophétisé en votre nom et en votre nom fait beaucoup de merveilles ? » Que leur sera-t-il répondu ? « Je ne vous connais pas. Éloignez-vous de moi, vous tous artisans d’iniquité[2]. »
8. Que nous importe-t-il donc d’apprendre ? « Que je suis doux, reprend le Sauveur, et humble de cœur. » Ainsi nous inspire-t-il la charité, mais la charité la plus sincère, une charité qui ne rougit pas, qui ne s’enfle pas, qui ne s’enorgueillit pas, qui ne trompe pas, et cette inspiration est contenue dans ces paroles : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. » Comment pourrait avoir cette charité pure un homme orgueilleux et hautain ? Il ne peut se défendre de l’envie. Un envieux aime-t-il réellement, et nous trompons-nous en disant le contraire ? Que personne ne s’avise jamais de supposer la charité à un cœur envieux. Aussi que dit l’Apôtre ? « La charité n’est point envieuse. » Pourquoi ? « Elle ne s’enfle point[3] ;» c’est le motif pour lequel saint Paul éloigne l’envie du caractère de la charité ; c’est dire : Elle n’est point envieuse, parce qu’elle ne s’enfle point. Il a dit d’abord « La charité n’est point envieuse ; » et comme si on lui en demandait la raison, il ajoute : C’est qu’elle « ne s’enfle point. » Si donc l’envie naît de l’orgueil ; quand il n’y a pas d’orgueil, il n’y a pas d’envie non plus. Mais si la charité n’est ni orgueilleuse, ni envieuse ; c’est enseigner la charité que de dire : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. »
9. Que chacun maintenant possède ce qui lui plaît et se vante comme il veut ; « quand même je parlerais les langues des hommes et des Anges, si je n’ai pas la charité, je suis comme un airain sonore ou une cymbale retentissante. » Qu’y a-t-il de plus beau que de pouvoir parler tant de langues ? On n’est pourtant alors, sans la charité, qu’un airain ou une cymbale faisant du bruit. Voici d’autres dons : « Quand je connaîtrais tous les mystères. » Qu’y a-t-il de plus élevé, ode plus magnifique ? Écoute encore : « Quand j’aurais tous les dons prophétiques et toute la foi, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien. » Voici quelque chose de plus grand encore mes frères. Qu’est-ce ? « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres. » Se peut-il rien de plus parfait ? N’est-ce pas le moyen de perfection prescrit par le Seigneur à ce riche auquel il dit : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et le donne aux pauvres ? » Mais est-on parfait pour avoir tout vendu et tout donné aux pauvres ? Non, car le Sauveur ajoute : « Viens ensuite et suis-moi. » – Pourquoi vous suivre ? J’ai tout vendu, distribué tout aux pauvres ; ne suis-je donc point parfait ? Qu’ai-je besoin de vous suivre ? – Suis-moi pour apprendre que « je suis doux et humble de cœur. » – Mais peut-on vendre tout et tout donner aux pauvres sans être encore doux et humble de cœur ? – On le peut assurément. – Si pourtant j’ai tout distribué aux pauvres ? – Écoute encore. Car il en est qui après avoir tout abandonné et s’être mis à la suite du Seigneur, sans toutefois l’avoir suivi parfaitement, puisque le suivre parfaitement c’est l’imiter, n’ont pu supporter l’épreuve de la souffrance. Voyez Pierre : il était, mes frères, du nombre de ceux qui avaient tout abandonné et s’étaient mis à la suite du Seigneur. Car en voyant le jeune homme riche s’éloigner avec tristesse, et après avoir demandé avec émotion au Seigneur, qui les consola, quel était donc celui qui pourrait être parfait, ils ne craignirent pas de lui dire « Voici que nous avons tout laissé pour vous suivre ; quelle récompense devons-nous donc attendre[4] ? » Et le. Seigneur leur fit connaître ce qu’il leur donnerait, ce qu’il leur réservait pour l’avenir. Pierre donc était dès lors du nombre de ceux qui avaient fait ces sacrifices. Et toutefois, quand fut arrivé le moment de la passion, il renia jusqu’à trois fois, à la voix d’une servante, Celui avec lequel il avait promis de mourir.

  1. Mt. 11, 27-29
  2. Id. 7, 22, 23
  3. 1 Cor. 13, 4
  4. Mt. 19, 21-29