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quantité. C’est de ces péchés que nous disons, mes frères, qu’on peut les expier par les aumônes de chaque jour. Faites donc des aumônes sans interruption. Considérez combien de péchés, je dis de péchés légers, souillent chaque jour votre vie.
19. Or quand tu fais l’aumône, n’y mets point d’orgueil ; ne prie pas non plus comme priait ce Pharisien. Que dit-il alors ? « Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de ce que je possède [1]. » Mais le sang du Seigneur n’était point alors répandu. Pour nous qui avons reçu un si haut prix, nous ne donnons même pas ce que donnait le Pharisien. Le Seigneur toutefois dit ailleurs en termes exprès : « Si votre justice n’est plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux[2]. » Ainsi, ceux-là donnent la dîme, et si tu donnes la centième partie tu te vantes d’avoir fait quelque chose de grand ! Tu considères ce qu’un autre ne fait pas, au lieu de te rappeler ce que Dieu exige. Tu te juges en te comparant à un pire, non en te rappelant les ordres d’un meilleur. Si ce pire ne fait rien, s’ensuit-il que tu fasses quelque chose de grand ? Telle est, hélas ! votre stérilité, que les moindres actes de votre part inspirent de la joie et parce qu’on est heureux du peu que vous faites, vous êtes comme en sûreté, vous vous flattez de quelques petites aumônes et vous perdez de vue des montagnes de péchés ! Peut-être as-tu fait paraître je ne sais quelle petite bonne œuvre qu’un autre n’a point produite ou qu’il n’a point montrée après l’avoir faite. De grâce, ne considère point qui n’a pas fait son devoir, mais ce que Dieu exige de toi. Pourquoi enfin, quand il s’agit des intérêts de ce siècle, ne vous suffit-il pas de devancer ceux qui ont moins que vous ? Pourquoi voulez-vous être riches, riches comme sont les plus riches que vous ? Vous ne considérez pas combien de pauvres vous surpassez ; vous voulez vaincre ceux dont la fortune l’emporte sur la vôtre : Dans les aumônes, on garde, hélas ! autrement la mesure. Combien j’en fais ! dit-on en parlant des aumônes ; et l’on ne dit pas, en parlant des riches : Combien mon opulence l’emporte sur la fortune de plusieurs ! On ne considère pas les besoins d’innombrables indigents, on ne regarde pas quelles troupes de pauvres l’on devance ; on voit plutôt le petit nombre des riches qui l’emportent sur soi. Pourquoi en fait de bonnes œuvres ne considère-t-on pas ce Zachée qui donna aux pauvres la moitié de ses biens [3] ? Mais nous sommes réduits à souhaiter que l’on fasse attention à ce Pharisien qui donnait la dîme de tout ce qu’il possédait.
20. Ne ménage pas tes trésors périssables, tes vains trésors. Ne travaille point à accroître ta fortune sous prétexte de piété. Je la conserve pour mes enfants ; on s’excuse souvent ainsi : Je la conserve pour mes enfants. Voyons : ton père conserve pour toi, tu conserves, toi, pour tes enfants, tes enfants pour leurs enfants et ainsi de suite sans qu’aucun pratique les commandements divins. Pourquoi plutôt ne pas tout offrir à Celui qui t’a fait de rien ? N’est-ce pas lui qui te nourrit, toi et tes enfants, de ce qu’il a créé lui-même ? Impossible de léguer à tes fils un meilleur patrimoine que ton Créateur. Les hommes souvent sont donc menteurs. Es rougissent de paraître avares ; ils veulent se couvrir du nom de la piété, se justifier et paraître garder pour leurs enfants ce que ; réellement ils gardent par avarice. Vous pouvez vous convaincre que la plupart du temps il en est ainsi. On dit de quelqu’un : Pourquoi ne fait-il pas l’aumône ? C’est qu’il conserve pour ses enfants. Il en perd un ; si donc il conservait réellement pour eux, qu’il envoie la part à celui-là. Pourquoi la conserve-t-il dans sa bourse et oublie-t-il le défunt ? Donne-lui ce qui est à lui ; donne-lui ce que tu conservais pour lui. Il est mort, répond-il. Mais il est près de Dieu,; tu dois sa part aux pauvres, tu la dois à Celui près de qui il t’a précédé ; tu la dois au Christ, car c’est près de lui qu’il est maintenant et le Christ a dit lui-même : « Ce que l’on fait à l’un de ces derniers, on me le fait ; et ce que l’on ne fait pas à l’un d’eux, on ne me le fait pas[4]. » Que réponds-tu ? Je garde pour ses frères. Si l’autre était vivant, ne partagerait-il pas avec ceux-ci ? Quelle foi morte ! Oui, ton fils est mort, et quoique tu en dises, tu lui dois après sa mort ce que tu lui gardais pendant sa vie. Mon fils est mort, et je conserve sa part pour ses frères. Tu crois donc qu’il est mort ? Il est mort, si le Christ n’est pas mort pour lui ; mais si tu as la foi, ton fils est vivant. Il vit sans aucun doute ; il n’est point perdu, il est en avant. De quel front paraîtras-tu devant lui, après ne lui avoir pas envoyé sa portion, dans le ciel ? Ne peut-on en effet l’y envoyer ? On le peut sûrement. Écoute le Seigneur lui-même : « Amassez-vous des trésors dans le ciel.[5] » Si dans le ciel le

  1. Lc. 18, 12
  2. Mt. 5, 20
  3. Lc. 19, 8
  4. Mt. 25, 40-46
  5. Id. 6, 20,