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SERMON CXXXIX. CONSUBSTANTIALITÉ DU FILS AVEC LE PÈRE[1].

ANALYSE. – Si Dieu a un grand nombre de fils adoptifs, il n’a pourtant qu’un Fils proprement dit : un Fils qui soit de même nature et de même substance que lui. Vainement les Ariens objectent qu’un fils en naissant est inférieur à son père. S’il lui est inférieur, c’est seulement en âge et parce qu’il est soumis aux mouvements du temps ; mais il lui est égal en nature. Quelle injure donc les hérétiques ne font-ils pas et an Père éternel et à son Fils ? En considérant celui-ci comme inférieur à son Père, ils l’accusent de n’être qu’un Fils dégénéré, comme ils accusent le Père de n’avoir engendré qu’un monstre.


1. Jésus-Christ, notre Seigneur et notre Dieu, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, qui est né de Dieu le Père sans le concours d’aucune mère, et de la Vierge sa mère sans le concours d’aucun père mortel, Jésus-Christ a dit, vous venez de l’entendre : « Mon Père et moi nous sommes « un. » Accueillez, croyez cette assertion de manière à mériter de la comprendre ; car la foi doit précéder l’intelligence et l’intelligence doit être la récompense de la foi, comme l’enseigne expressément un Prophète : « Si vous ne croyez, dit-il, vous ne comprendrez point[2]. » Ainsi donc c’est à la foi que s’adresse la prédication en exposant simplement les mystères, et c’est l’intelligence que veut éclairer la discussion en les approfondissant. Aussi, afin de commencer par répandre la foi dans vos âmes, nous vous prêchons Jésus-Christ, Fils unique de Dieu. Pourquoi dire unique ? Parce que le Père de ce Fils unique s’est fait par sa grâce beaucoup d’autres enfants. Tous les saints en effet sont fils de Dieu par grâce, Jésus-Christ seul l’est par nature. Être fils de Dieu par grâce, c’est n’avoir pas la nature du Père ; voilà pourquoi aucun saint n’a osé dire jamais, comme le Fils unique : « Mon Père et moi nous sommes un. » Le Père toutefois n’est-il pas aussi notre Père ? S’il ne l’est pas, comment lui disons-nous en priant : « Notre Père qui êtes aux cieux[3] ? » Il est vrai, nous sommes ses enfants ; mais il nous a rendus tels par sa volonté, sans nous avoir engendrés de sa substance ; et s’il est dit qu’il nous a engendrés, c’est pour exprimer qu’il nous a adoptés en nous communiquant ses bienfaits et non point en nous transmettant sa nature. Aussi portons-nous ce titre d’enfants pour avoir été appelés par lui à l’adoption de ses fils[4]. Nous sommes des hommes adoptés par Dieu. Si Jésus-Christ est appelé Fils unique, c’est qu’il a la même nature que son Père ; nous au contraire nous ne sommes que des hommes et notre Père est Dieu. Or c’est parce que Jésus a la même nature que son Père qu’il a dit et qu’il a dit avec vérité : « Mon Père et moi nous sommes un. » Que signifie « nous sommes un ? » Nous sommes d’une seule et même nature, d’une seule et même substance.
2. Peut-être ne comprenez-vous pas suffisamment ce que veut dire d’une seule et même substance. Appliquons-nous et que Dieu nous aide ; moi à m’expliquer et vous à entendre ; moi à mettre la vérité à votre portée, vous à la croire, ce qui est nécessaire avant tout, à la comprendre ensuite dans la mesure de vos forces. Que signifie donc d’une seule et même substance ? Afin d’éclaircir par des exemples ce qui peut n’être pas suffisamment clair, j’emploierai des comparaisons. Suppose que Dieu c’est de l’or, le Fils sera de l’or aussi. Et pourquoi des comparaisons tirées des choses de la terre ne serviraient-elles pas à nous élever vers les choses du ciel, puisqu’il est écrit : « La pierre était le Christ [5] ? » Ainsi le Fils est tout un avec le Père ; et si, comme je l’ai déjà supposé, le Père était de l’or, le Fils aussi serait de l’or. Dire que le Fils n’est point de la même substance que le Père, ne serait-ce pas dire, par exemple : Le Père est de l’or, et le Fils de l’argent ? Mais si le Père est de l’or tandis que le Fils est de l’argent, c’est que le Fils unique du Père est un Fils dégénéré. Un homme engendre un homme ; le père qui engendre est de même substance que le fils engendré par lui. Qu’est-ce à dire encore de même substance ? L’un est homme, l’autre aussi ; l’un a une âme, l’autre en a une ; l’un a un corps, l’autre a un corps ; l’un est enfin ce qu’est l’autre.
3. Mais j’entends l’hérésie Arienne. Que me dit-elle ? – Souviens-toi de ce que tu viens de dire. – Et qu’ai-je dit ? — Qu’on peut établir une comparaison entre un fils de l’homme et le Fils de Dieu. — Oui, une comparaison, mais une

  1. Jn. 10, 30
  2. Isaïe 7, 9. sel. LXX
  3. Mt. 6, 9
  4. Eph. 1, 6
  5. 1 Cor. 10, 4