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les racheter au prix de son sang. Il les voyait sans en être vu encore, il les connaissait sans qu’ils crussent encore en lui. « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail ; » qui ne sont pas de la race d’Israël ; mais elles ne seront pas toujours en dehors du bercail ; car « il faut que je les amène, afin qu’il n’y ait qu’un troupeau et qu’un pasteur. »
6. C’est donc avec raison que l’épouse bien-aimée de ce Pasteur des pasteurs, que cette épouse ornée et embellie par sa miséricorde et par sa grâce, car elle était auparavant toute souillée d’iniquités, s’adresse à lui dans l’ardeur qui la transporte et lui dit : « Où paissez-vous ? » Remarquez, mes frères, combien s’enflamme ici, avec quelle ardeur s’élève l’amour spirituel. Pour ressentir vivement les joies de cet amour, il faut en avoir goûté tant soit peu les douceurs ; ceux qui aiment le Christ me comprennent, car c’est par leur bouche et c’est d’eux que parle l’Église dans le Cantique des Cantiques. Si le Christ qu’ils aiment parait sans beauté, il n’en est pas moins la beauté incomparable. « Nous l’avons vu, est-il dit, et il n’avait ni éclat, ni beauté[1]. » C’est dans cet état qu’il parut sur la croix, qu’il se montra avec sa couronne d’épines : il était alors sans beauté et sans éclat, on aurait dit qu’il avait perdu sa puissance, qu’il n’était point le Fils de Dieu. C’est dans cet état que le virent les aveugles ; car c’est au nom des Juifs qu’Isaïe s’écriait : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni éclat ni beauté. » Aussi lui disait-on : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix. Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même. Christ, prophétise-nous, lui disait-on encore en lui frappant sur la tête avec un roseau, qui t’a frappé[2] ? » Il était alors sans éclat et sans beauté. Mais si vous l’avez cru tel, ô Juifs, c’est qu’une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce qu’entrât la plénitude des gentils, jusqu’à ce que vinssent les autres brebis[3]. Oui, c’est pour être tombés dans l’aveuglement que vous avez vu sans beauté la beauté même. Ah ! si vous l’aviez connu, jamais vous n’auriez crucifié le Seigneur de la gloire[4]. Vous l’avez crucifié, parce que vous ne le connaissiez pas. Et pourtant ne vous supportait-il point malgré vos crimes ? N’était-il pas beau quand il priait pour vous et disait : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[5] ? » S’il était sans beauté, serait-il aimé de l’épouse et dirait-elle : « Apprenez-moi, vous que chérit mon âme ? » Pourquoi l’aime-t-elle ? Pourquoi s’enflamme-t-elle ? Pourquoi craint-elle si vivement de s’égarer loin de lui ? Pourquoi chérit-elle sa présence au point de ne redouter que d’en être privée ? L’aimerait-elle enfin, s’il n’était beau ? Mais comment l’aimerait-elle, si elle ne voyait en lui que ce qu’y voyaient ces bourreaux qui le tourmentaient sans savoir ce qu’ils faisaient ? Qu’aimait-elle donc en lui ? Le plus beau des enfants des hommes. « Vous l’emportez en beauté sur les enfants des hommes, la grâce est répandue sur vos lèvres[6]. » Ah ! de ces lèvres bénies, « apprenez-moi, vous que chérit mon âme ; apprenez-moi, vous que chérit », non pas ma chair, mais « mon âme, où vous paissez, où vous reposez à midi, dans la crainte que je ne m’égare sur les traces des troupeaux de vos commensaux[7]. »
7. Ce passage semble obscur, il l’est, en effet, car c’est le mystère sacré du lit nuptial. L’épouse ne dit-elle pas : « Le Roi m’a fait entrer dans sa chambre ? » Et il s’agit ici du secret communiqué alors. Pour vous néanmoins, qui n’êtes point écartés de ce sanctuaire comme des profanes, écoutez ce que vous êtes, dites avec l’épouse, si toutefois vous aimez avec elle, et vous aimez avec elle si vous lui êtes unis ; dites tous, où plutôt qu’elle dise toute seule, car c’est l’unité même qui parle : « Apprenez-moi, vous que chérit mon âme ; » puisqu’on ne doit avoir en Dieu qu’un cœur et qu’une âme[8] ; « Apprenez-moi où vous paissez, où vous reposez à midi. » Que rappelle le midi ? Une grande chaleur et une éclatante lumière. L’épouse veut donc dire : Faites-moi connaître quels sont vos sages, quels sont les hommes qui unissent la ferveur de l’esprit à l’éclat de la doctrine. « Montrez-moi la puissance de votre droite et quels sont les cœurs pénétrés de votre sagesse[9]. » Je veux m’attacher à eux dans votre corps, leur être associée, jouir de vous avec eux. Dites-moi donc, « apprenez-moi où vous paissez, où vous reposez à midi ; » afin que je ne me jette pas au milieu de ceux qui parlent de vous autrement qu’ils ne pensent, qui croient autrement qu’ils ne prêchent, qui ont leurs troupeaux particuliers et qui sont, vos commensaux, mangeant à votre table et célébrant le Sacrement qu’on y reçoit. Le mot sodales en effet signifie qu’ils sont

  1. Is. 53, 2
  2. Mt. 27, 40-41 ; 26, 68
  3. Rom. 11, 25
  4. 1 Cor. 2, 8
  5. Lc. 23, 34
  6. Ps. 44, 3
  7. Voir ci-des. serm. 46, n. 36-38
  8. Act. 4, 32
  9. Ps. 89, 12