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point qu’ils n’ont pas fait ce qu’ils disent ; sous l’œil d’un tel juge oseraient-ils mentir ou se vanter d’œuvres imaginaires ? Mais comme ils n’avaient pas la charité : « Je ne vous connais pas », sera-t-il dit à tous[1]. Y a-t-il la moindre étincelle de charité dans celui qui hait l’unité, tout convaincu qu’il soit par la vérité ? C’est donc pour recommander cette unité aux bons pasteurs, que le Seigneur a évité de parler des pasteurs au pluriel. Sans aucun doute, je l’ai déjà remarqué, Pierre, Paul et les autres Apôtres étaient de bons pasteurs, ainsi que les saints évêques qui les ont remplacés, ainsi que le bienheureux Cyprien. Oui, ils étaient tous de bons pasteurs : et pourtant le Seigneur ne leur a point parlé de plusieurs bons pasteurs, mais d’un seul. « Je suis, dit-il, le bon pasteur. »
4. Interrogeons le Seigneur comme nous le pourrons ; questionnons avec la plus profonde humilité ce divin Père de famille. — Que dites-vous donc, ô Seigneur, bon Pasteur ? car si vous êtes l’agneau de Dieu, vous êtes aussi le bon pasteur, vous êtes tout à la fois pasteur et pâturage, agneau et lion. Que nous enseignez-vous ? Aidez-nous à vous écouter et à vous comprendre. Que dites-vous ? – « Je suis le bon « pasteur. » – Et Pierre ? N’est-il donc point pasteur, ou est-il un pasteur mauvais ? Examinons s’il n’est point pasteur. – « M’aimes-tu ? » C’est vous, Seigneur, qui lui avez demandé : « M’aimes-tu ? – Je vous aime », répondit-il. Et vous : « Pais mes brebis. » – C’est vous, c’est vous, Seigneur, qui après l’avoir questionné avez établi pasteur, par l’autorité de votre parole, cet amant dévoué. Il est pasteur, puisque vous lui avez donné vos brebis à paître. Voyons maintenant s’il n’est pas bon pasteur. Nous l’apprendrons encore par la question et par la réponse. Vous lui demandiez s’il vous aimait ; il répondit : « Je vous aime. » Vous voyiez dans son cœur qu’il disait vrai. Ne serait-il. pas bon dès qu’il vous aime ainsi, vous le Bien suprême ? Sa réponse aurait-elle jailli, comme elle a fait, du fond de son cœur ? Au moment où il sentait votre regard plonger jusque dans ses entrailles, se serait-il affligé que vous l’eussiez questionné, non pas une fois, mais deux et trois fois, afin de lui donner lieu d’effacer son triple reniement en confessant trois fois son amour ? Se serait-il affligé d’être interrogé plusieurs fois par Celui qui connaissait ce qu’il demandait et qui inspirait la réponse ? Se serait-il écrié, sous l’impression de sa tristesse : « Vous savez tout, Seigneur, ah ! vous savez que je vous aime[2] ? » Mentirait-il en faisant cette confession ou plutôt cette profession solennelle ? Il était donc sincère en répondant qu’il vous aimait, c’est du fond même de son cœur que s’échappa ce cri d’amour. Or vous avez dit que « c’est du bon trésor de son cœur que l’homme bon fait jaillir le bien[3]. » – Pierre est donc et pasteur et bon pasteur. Il n’est rien sans doute, comparé à la puissance et à la bonté du Pasteur des pasteurs ; il est pourtant pasteur aussi et même bon pasteur, et ceux qui lui ressemblent sont bons pasteurs également.
5. Pourquoi alors ne parlez-vous à ces bons pasteurs que d’un seul pasteur, sinon parce que vous voulez ainsi recommander l’unité ? C’est ce qu’exprimera plus clairement encore le Seigneur lui-même par notre organe. Il s’adresse donc, d’après le même Évangile, à votre charité : Écoutez, dit-il, ce que j’ai voulu vous faire sentir. J’ai dit : « Je suis le bon pasteur ; » parce que tous les autres bons pasteurs sont mes membres ; parce qu’il n’y a qu’un Chef, qu’un seul corps, qu’un seul Christ, conséquemment qu’un seul pasteur des pasteurs et que tous les pasteurs établis par lui sont, avec leurs brebis, sourds à ce Pasteur suprême. N’est-ce pas ce qu’enseigne l’Apôtre ? « Comme le corps est un, dit-il, tout en ayant beaucoup de membres, et que tous les membres du corps ne sont cependant qu’un seul corps ; ainsi en est-il du Christ[4]. » S’il en est ainsi du Christ, c’est avec raison que comprenant en lui tous les bons pasteurs il ne parle que d’un seul et dit : « Je suis le bon pasteur. » Je le suis, il n’y a que mollet tous ceux qui sont avec moi n’en forment qu’un seul dans le lien de l’unité. Paître en dehors de moi, c’est être contre moi ; et ne pas recueillir avec moi, c’est dissiper. Voulez-vous voir l’unité recommandée plus fortement encore ? « J’ai d’autres brebis qui n’appartiennent point à ce bercail. » Il faisait mention du premier bercail formé du peuple issu charnellement d’Israël. Car il y avait en dehors et parmi les gentils des prédestinés qui devaient avoir la foi d’Israël, mais qui n’étaient pas encore réunis au bercail. Le Sauveur les connaissait, puisque c’était lui qui les avait prédestinés ; il les connaissait, puisqu’il était venu

  1. Mt. 7, 22-23
  2. Jn. 21, 15-17
  3. Mt. 12, 35
  4. 1 Cor. 12, 12