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pas la fidélité ; mais autant brille l’or aux yeux du corps, autant brille la fidélité aux regards de l’esprit. Tu lui ouvres ces yeux du cœur quand tu veux que ton serviteur la pratique envers toi. S’il le fait, tu le loues, tu l’exaltes, tu t’écries : J’ai un bon, j’ai un grand, j’ai un fidèle serviteur. Et tu ne rends pas hommage à Dieu de ce que tu loues dans ce serviteur ! Ce qui ajoute à ton crime, c’est que tu exiges de lui ce que tu n’accordes pas à Dieu ; car c’est Dieu qui lui ordonne d’être bon envers toi. Il commande à ton épouse de ne pas commettre l’adultère lors même que tu t’en rendrais coupable, ainsi il commande à ton serviteur de t’obéir, quand même tu n’obéirais pas à ton Seigneur. Fais en sorte néanmoins, que tout ceci aide à t’instruire, non à te perdre. C’est pour, Dieu et non pour toi que ce serviteur sert un indigne, c’est-à-dire fait bien et fidèlement son service et l’aime sincèrement malgré ton dignité. Accomplis donc ce qui est dit : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse [1]. » Mais par autrui entends à la fois Dieu et le prochain. Chante sur le psaltérion à dix cordes, chante le cantique nouveau. Accorde-toi avec la parole de Dieu tant qu’elle chemine avec toi. Accorde-toi au plus tôt avec ton ennemi afin qu’aucun différend ne t’amène devant le juge. En faisant ce qui t’est dit, tu t’entends avec lui ; en ne le faisant pas, tu contestes et tu ne pourras t’accorder qu’en te soumettant.
17. Pour vous accorder, éloignez-vous de ces détestables impuretés, des études détestables, des astrologues et des aruspices, des sorciers, des augures et des sacrilèges ; éloignez-vous aussi, autant que possible, des folies des spectacles. Si parfois les plaisirs du siècle se glissent dans votre âme, exercez-vous à la miséricorde, exercez-vous au jeûne, à la prière. On se purifie, par ces moyens, des péchés de chaque jour dont ne peut se défendre l’humaine fragilité. Ne méprise pas ces péchés parce qu’ils sont petits ; redoute-les parce qu’ils sont nombreux. Soyez attentifs, mes frères. Ces péchés sont petits, ils ne sont pas graves. Tous les animaux n’ont pas la taille du lion, pour pouvoir égorger d’un coup de dent. Mais n’arrive-t-il pas souvent aux plus faibles insectes de donner la mort quand ils sont en grand nombre ? Qu’un homme soit jeté dans un lieu rempli de moustiques, n’y meurt-il pas ? Ces insectes sont faibles ; mais faible est aussi la nature humaine et elle peut succomber sous les atteintes de ces chétifs insectes. Ainsi en est-il des péchés légers. Vous dites qu’ils sont légers : songez qu’ils sont multipliés. Qu’y a-t-il de plus léger que les grains de sable ? Jetez-en abondamment dans un navire, il coule à fond. Qu’y a-t-il de plus petit que les gouttes de pluie ? Néanmoins elles remplissent les fleuves et renversent nos demeures. Ne méprisez donc pas les péchés légers. Vous direz : Qui peut en être préservé dans cette vie ? Il est vrai, personne ne peut en être exempt. Dieu toutefois t’interdit ce langage, car en considération de notre fragilité, il a, dans sa miséricorde, préparé des remèdes. Quels sont-ils ? L’aumône, le jeûne, la prière : trois. Mais pour rendre sincère ta prière, tu dois faire de parfaites aumônes. En quoi consistent les aumônes parfaites ? A donner de ton abondance à qui n’a pas ; à pardonner à qui te blesse.
18. Néanmoins, frères, gardez-vous de croire que l’on doive chaque jour commettre l’adultère, pour l’expier chaque jour par l’aumône. L’aumône de chaque jour ne suffit pas à effacer ces sortes de fautes. Autre chose est ce que tu dois changer dans ta vie ; et autre chose ce que tu dois y tolérer. Que dois-tu changer ? Si tu étais adultère, ne le sois plus ; fornicateur, ne le sois plus ; homicide, ne le sois plus ; si tu fréquentais l’astrologue et les autres misérables également sacrilèges ; assez ! Penses-tu qu’en continuant tu pourrais expier ces crimes par l’aumône de chaque jour ? J’entendais, par péchés de chaque jour, ceux qui se commettent aisément par la langue ; ainsi une parole dure, un rire immodéré, des légèretés de ce genre où l’on tombe chaque jour, Les péchés se glissent mêmes dans les œuvres, permises. N’avoir pas uniquement en vue la génération des enfants, lorsqu’on s’unit à son épouse, c’est péché ; car c’est s’écarter du but assigné au mariage par la loi civile elle-même. Pour engendrer des enfants, dit-elle. Vouloir donc user du mariage au-delà de ce que nécessite la génération, c’est péché, et ce sont des péchés de cette sorte qu’effacent les aumônes de chaque jour. Sans aucun doute les aliments sont permis ; néanmoins il y a péché à excéder la mesure, à prendre au-delà du nécessaire. Ces fautes se renouvellent chaque jour ; elles n’en sont pas moins des fautes, et leur multitude ne permet pas de les regarder comme légères ; et parce qu’elles se reproduisent chaque jour en grand nombre, il faut redouter la ruine qu’elles entraîneraient, non par leur gravité, mais par leur

  1. Tob, 4, 16