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alors les secrets du sanctuaire. C’est pour ce motif qu’au moment où le Sauveur était suspendu à la croix, le voile du temple se déchira de haut en bas [1] ; et l’Apôtre Paul dit expressément : « Lorsque tu te seras converti au Christ, le voile disparaîtra[2] ; » au lieu « qu’il reste posé sur le cœur », comme s’exprime le même Apôtre, lorsque tout en lisant Moïse, on ne s’est point attaché au Christ[3]. Afin donc d’annoncer qu’il y aurait dans son Église de ces docteurs pervers, que dit le Seigneur ? « Les Scribes et les Pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font. »

7. En entendant ce texte qui les condamne, il est de mauvais ecclésiastiques qui cherchent à en corrompre le sens ; j’en ai réellement entendu quelques-uns qui voulaient l’altérer. S’ils le pouvaient, n’effaceraient-ils pas cette maxime de l’Évangile ? Dans l’impuissance d’y réussir, ils veulent au moins la fausser. Mais par sa grâce et par sa miséricorde, le Seigneur ne leur permet pas d’y parvenir non plus. Toutes ses paroles sont environnées du rempart protecteur de sa vérité ; elles sont tellement posées que si un lecteur ou un interprète infidèle voulaient en retrancher ou y ajouter quoi que ce fût, un homme de cœur, pour rétablir le sens qu’on cherchait à pervertir, n’a qu’à rapprocher l’Écriture d’elle-même en lisant ce qui précède ou ce qui suit. Comment donc s’y prennent ceux dont il est question dans ces mots : « Faites ce qu’ils disent ? » C’est aux laïques, affirment-ils que cela s’adresse. Il est vrai, que fait un laïque qui veut se bien conduire, lorsqu’il voit un ecclésiastique se conduisant mal ? Le Seigneur a dit, se rappelle-t-il « Faites ce qu’ils disent ; gardez-vous de faire ce qu’ils font. » Je vais donc suivre les voies tracées par le Seigneur, sans imiter un tel dans ses mœurs. Je recevrai, quand il parlera, non pas sa parole, mais la parole de Dieu. Qu’il s’attache à sa passion, pour moi je m’attache à Dieu. Car si pour me défendre devant Dieu je disais un jour : Seigneur, j’ai vu cet homme qui est votre clerc, se conduire mal et je me suis mal conduit ; le Seigneur ne me répondrait-il pas, mauvais serviteur, ne t’avais-je pas dit : « Faites ce qu’ils disent ; gardez-vous de faire ce qu’ils font ? » – Quant au laïque mauvais, infidèle, qui ne fait partie ni du troupeau du Christ, ni du froment du Christ et qu’on supporte simplement comme on laisse la paille sur l’aire, que réplique-t-il quand on se met à le presser en lui citant la parole de Dieu ? – Laisse-moi ; à quoi bon me parler ainsi ? Les évêques, les ecclésiastiques mêmes ne font pas ce que tu dis, et tu prétends que je le fasse ? – C’est se chercher, non pas un avocat de mauvaise cause, mais un compagnon de supplice. Comment être défendu au jour du jugement par un méchant qu’on aura voulu imiter ? Quand le diable parvient à séduire, ce n’est pas pour régner, c’est pour être condamné avec ceux qu’il dupe ; ainsi en s’attachant aux traces des méchants, on s’associe à eux pour l’enfer, on ne s’en fait pas des protecteurs pour le ciel.

8. Comment donc ces ecclésiastiques qui se conduisent mal faussent-ils la pensée du Seigneur, quand on leur oppose qu’il a eu raison de déclarer : « Faites ce qu’ils disent ; gardez-vous de faire ce qu’ils font ? » La sentence est irréprochable répondent-ils. Il vous est dit de faire ce que nous disons et de ne pas faire ce que nous faisons. C’est qu’il ne vous est pas permis d’offrir le sacrifice que nous offrons. – Quelles supercheries de la part de ces…… de ces mercenaires ! Ah ! s’ils étaient de vrais pasteurs, ils ne parleraient pas ainsi. Aussi pour leur fermer la bouche, il suffit d’observer la suite des paroles du Seigneur. « Ils sont assis, dit-il, sur la chaire de Moïse ; faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font, car ils disent et ne font pas. » Que signifie ce langage, mes frères ? S’il était ici question du sacrifice à offrir, nous ne lirions point : « Ils disent et ne font pas ; » car le sacrifice est une action, c’est une offrande faite à Dieu. Qu’est-ce donc qu’ils disent sans le faire ? Le voici dans les paroles qui suivent : « Ils lient des fardeaux pesants et qu’on ne peut porter, et les placent sur les épaules des hommes, sans vouloir même les remuer du doigt[4]. » Voilà des reproches manifestes et clairement exprimés. Mais en voulant fausser la pensée du Seigneur, ces malheureux montrent que dans l’Église ils ne cherchent que leurs propres avantages et qu’ils n’ont pas lu l’Évangile. S’ils en connaissaient seulement une page et en avaient lu le texte entier, jamais ils n’avanceraient ce qu’ils osent avancer.

9. Voyez plus clairement encore qu’il y a dans l’Église de ces mauvais docteurs. On pourrait nous objecter que le Seigneur ne parlait que des Pharisiens, que des Scribes, que des Juifs, et qu’il

  1. Mat. 27, 51
  2. 2Co. 3, 16
  3. Id. 15
  4. Mat. 23, 2-4