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le Seigneur ? « En vérité je vous le déclare : le Publicain sortit du temple justifié, plutôt que le Pharisien ; car quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé [1]. » Ceux donc qui s’élèvent veulent monter par ailleurs dans le bercail ; tandis que ceux qui s’abaissent, y entrent par la porte. Aussi est-il dit, de l’un, qu’il entre et de l’autre, qu’il monte. Monter, vous le voyez, c’est rechercher les grandeurs, ce n’est pas entrer, c’est tomber ; au lieu que s’abaisser pour entrer par la porte, ce n’est pas tomber, c’est être pasteur.

5. Cependant le Seigneur fait figurer dans l’Évangile trois personnages que nous devons y étudier : le pasteur, le mercenaire et le voleur. Vous avez sans doute remarqué à la lecture de l’Évangile, les caractères assignés par Jésus-Christ au pasteur, au mercenaire et au voleur. Le pasteur, a-t-il dit, donne sa vie pour ses brebis et il entre par la porte. Le voleur et le larron montent par ailleurs. Quant au mercenaire, il fuit lorsqu’il voit le loup ou le voleur, parce qu’étant mercenaire et non pasteur, il ne prend point souci des brebis. L’un entre par la porte, attendu qu’il est le pasteur ; l’autre monte par ailleurs, attendu qu’il est un voleur ; et le troisième tremble et prend la fuite à la vue des ravisseurs qui veulent s’emparer des brebis, attendu qu’il est mercenaire et qu’étant mercenaire il ne prend point souci du troupeau. Si nous parvenons à bien reconnaître ces trois sortes de personnages, votre sainteté saura qui vous devez aimer, qui vous devez supporter et de qui vous devez vous garder. Il faudra aimer le pasteur, supporter le mercenaire et vous garder du larron. Il y a en effet dans l’Église des hommes dont l’Apôtre dit qu’ils annoncent l’Évangile par occasion, recherchant auprès des hommes leurs propres avantages, argent, honneurs, louanges humaines[2]. Ce qu’ils veulent, ce sont des présents de quelque nature, et ils ont moins en vue le salut de l’auditeur que leurs intérêts personnels. Quant au fidèle à qui le salut est annoncé par un homme qu’y n’y a point part, s’il croit en Celui qu’on lui annonce sans s’appuyer sur le prédicateur, il y aura profit pour l’un, perte pour l’autre.

6. Le Seigneur disait des Pharisiens : « Ils sont assis sur la chaire de Moïse[3]. » Il n’avait pas en vue que les Pharisiens et son intention n’était pas d’envoyer à l’école des Juifs ceux qui croiraient en lui, pour y apprendre le chemin qui conduit au royaume des cieux. N’était-il pas venu effectivement pour former son Église, pour séparer du reste de la nation, comme on sépare le froment de la paille, les Israélites qui étaient dans la bonne foi, qui avaient une bonne espérance et une charité véritable, pour faire de la circoncision comme une muraille, pour y joindre, comme une autre muraille, la gentilité, et pour servir lui-même de pierre angulaire à ces deux murs aboutissant à lui de directions opposées ? N’est-ce pas de l’union future de ces deux peuples qu’il disait : « J’ai aussi d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail », du bercail des Juifs ; « il faut que je les amène encore, afin qu’il n’y ait plus qu’un seul troupeau et un seul pasteur ? » Aussi est-ce de deux barques qu’il appela ses disciples ; ces deux barques désignaient les deux peuples qui devaient entrer dans l’Église, lorsque les Apôtres, après avoir jeté les filets, prirent cette multitude de poissons dont le poids faillit les rompre et qu’« ils en chargèrent ces deux mêmes barques[4]. » Il y avait bien deux barques, mais il n’y a qu’une Église formée de deux peuples différents qui s’unissent dans le Christ. C’est ce qui était figuré aussi par Lia et Rachel, les deux épouses d’un même mari, de Jacob[5] ; par les deux aveugles assis près de la route et à qui le Seigneur rendit la vue[6]. Si enfin vous étudiez avec attention les Écritures, souvent vous y rencontrerez des figures de ces deux Églises qui n’en forment qu’une seule, comme l’indiquent et la pierre angulaire qui unit deux murs et le pasteur qui unit deux troupeaux. En venant donc pour enseigner son Église et pour établir son école en dehors du Judaïsme, comme nous la voyons établie aujourd’hui, le Seigneur ne voulait pas rendre disciples des Juifs ceux qui croiraient en lui. Sous le nom de Scribes et de Pharisiens il voulait désigner ceux qui un jour dans son Église diraient et ne feraient pas, comme il se désignait lui-même dans la personne de Moïse. Moïse effectivement figurait Jésus-Christ, et si en parlant au peuple il se voilait la face, c’était pour indiquer qu’en cherchant dans la Loi les joies et les voluptés charnelles et qu’en ambitionnant un empire terrestre, les Juifs avaient devant les yeux un voile qui les empêcherait de reconnaître le Christ dans les Écritures. Aussi le voile tomba-t-il après la passion du Seigneur et on vit

  1. Luc. 18, 10-14
  2. Phi. 1, 18
  3. Mat. 23, 2
  4. Luc. 5, 2-7
  5. Gen. 29, 1
  6. Mat. 20, 30-34