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pas que le Fils vivifie ceux que le Père lui commande de vivifier. « Il vivifie ceux qu’il veut. » Ceux par conséquent que le Père veut comme lui ; car la puissance étant la même, la volonté est la même aussi. Ainsi donc n’ayons pas le cœur aveugle et reconnaissons au Père et au Fils une seule et même nature, car le Père est véritablement Père, et le Fils véritablement Fils. Le Père a engendré un autre lui-même, car le Fils n’est pas un Fils dégénéré.
6. Il y a, dans les paroles de l’aveugle-né, je ne sais quoi qui peut inquiéter, peut-être même porter au désespoir quand on ne les comprend pas bien. Après avoir recouvré la vue, il dit entre autres choses : « Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs. » Eh ! que deviendrons-nous, si Dieu n’exauce pas les pécheurs ? Si Dieu n’exauce pas les pécheurs, oserons-nous le prier ? – Eh bien ! montrez-moi quelqu’un qui prie, et je vous montre qui l’exauce. Montrez-moi quelqu’un qui prie, examinez le genre humain ; allez des imparfaits aux parfaits, du printemps à l’été, car nous venons de chanter. « C’est vous qui avez fait l’été et le printemps [1] ; » c’est-à-dire : C’est vous qui avez fait les hommes qui sont déjà spirituels et ceux qui sont encore charnels ; car le Fils de Dieu dit lui-même : « Vos yeux voient ce qu’il y a en moi d’imparfait ; » ils voient ce qu’il y a d’imparfait dans mon corps. Poursuivons. Ceux qui sont imparfaits ont-ils à espérer quelque chose ? Sûrement, car nous lisons ensuite : « Et tous seront inscrits dans votre livre[2]. » Peut-être croyez-vous, mes frères, que les spirituels prient et sont exaucés, parce qu’ils ne sont pas pécheurs. Que deviendront alors les hommes encore charnels ? Que deviendront-ils ? Ils seront donc perdus ? Ils ne prieront plus le Seigneur ? Loin de nous cette pensée ! Voyons le publicain de l’Évangile. Viens, publicain, arrête-toi au milieu de nous, pour empêcher les faibles de perdre tout espoir, montre-nous quelle espérance te soutenait. Ce publicain est monté au temple pour y prier avec le pharisien ; il se prosterne la face contre terre, il reste éloigné du sanctuaire et se frappe la poitrine en disant : « Soyez-moi propice, Seigneur, car je suis pécheur ; » puis il retourne justifié, plutôt que le pharisien[3]. En s’écriant : « Soyez-moi propice, car je suis pécheur », disait-il vrai ou faux Puisqu’il disait vrai, il était pécheur ; il fut néanmoins moins exaucé et justifié. Comment donc as-tu pu dire, toi dont les yeux ont été ouverts par le Seigneur : « Nous savons que Dieu n’exauce pas les pécheurs ? » Nous voyons ici qu’il les exauce. Lave donc ton âme, fais pour ton cœur ce que tu as fait pour tes yeux et tu reconnaîtras que Dieu exauce les pécheurs. Tu es dupe d’une imagination vaine ; tu n’es pas encore guéri complètement. Cet aveugle fut excommunié par, la Synagogue ; Jésus l’apprit, vint à lui et lui dit : « Crois-tu au Fils de Dieu ? » – « Qu’est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Il voyait donc et ne voyait pas ; il voyait des yeux, mais non du cœur. « Mais tu le vois », répliqua le Seigneur, tu le vois des yeux du corps ; « c’est lui-même qui te parle. – Et se prosternant alors il l’adora. » C’était se purifier l’œil du cœur.
7. Pécheurs, appliquez-vous donc à prier ; confessez vos péchés, priez pour les effacer, priez pour en diminuer le nombre, priez pour obtenir qu’ils disparaissent à mesure que vous progressez : mais gardez-vous de désespérer et priez, tout pécheur que vous êtes. Quel est, hélas ! celui qui n’a point péché ? Commençons par les prêtres. Il est dit aux prêtres : « Offrez d’abord des sacrifices pour vos péchés, et ensuite pour le peuple[4]. » Ces sacrifices témoignaient contre les prêtres, et si l’un d’entre eux s’était prétendu juste et exempt de péché, on lui aurait répondu-: Je ne considère point ce que tu dis, mais ce que tu offres ; la victime qui est entre tes mains sert à te confondre. Pourquoi offrir en vue de tes péchés, si tu es sans péché ? Prétends-tu tromper Dieu, même en sacrifiant ? On objectera peut-être que si les prêtres de l’ancien peuple étaient pécheurs, les prêtres du peuple nouveau ne le sont pas. Croyez-moi, mes frères : puisque Dieu l’a voulu, je suis son prêtre, et pourtant je suis pécheur, je frappe avec vous rua poitrine, avec vous je demande pardon, j’espère avec vous que Dieu me fera miséricorde. Mais les saints Apôtres, les premiers chefs du troupeau chrétien, ces premiers pasteurs, membres du Pasteur suprême, n’étaient-ils pas sans péchés ? Non, ils n’étaient pas sans péché, ils avaient réellement des péchés, et si nous le publions ils ne s’irritent point, attendu qu’ils l’avouent eux-mêmes. De moi-même je n’oserais l’avancer ; mais prête d’abord l’oreille à la voix du Seigneur ;

  1. Psa. 73, 17
  2. Psa. 138, 16
  3. Luc. 18, 10-14
  4. Lev. 16, 6 ; Héb. 7, 27