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en toute sûreté ? Et qu’y boirai-je ? Qu’a dit Jean ? Que le Christ a menti. Et qui envoie Jean ? Le Christ. Quoi ! le messager dit vrai et Celui qui l’envoie est menteur ? J’ai lu expressément dans l’Évangile : « Jean reposait à table sur la poitrine du Seigneur [1] ; » il y buvait sans doute la vérité ; et quelle vérité y a-t-il bue ? Qu’y a-t-il bu, sinon ce qu’il nous a fait entendre : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; il était en Dieu dès le commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait. Ce qui a été fait, était en lui la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise : » elle luit, et si à mes yeux il y a encore de l’obscurité, si je ne puis comprendre parfaitement, elle n’en luit pas moins. « Il y eut un homme envoyé de Dieu, dont le nom était Jean. Il vint en témoignage, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. Il n’était pas la lumière. » Qui n’était pas la lumière ? Jean. Quel Jean ? Jean-Baptiste ; car c’est bien de lui que Jean l’Évangéliste dit qu’« il n’était pas la lumière », tandis que le Seigneur a dit au contraire qu’il était un flambeau ardent et luisant[2]. » Mais un flambeau peut s’allumer et s’éteindre. N’y a-t-il donc pas ici une distinction ? Où la prendre ? Dans ces mots : Celui à qui le flambeau rendait témoignage « était la lumière véritable. » Et tu cherches le mensonge dans ce que Jean appelle « la lumière véritable ? » Écoute encore le même Évangéliste nous redisant ce qu’il a vu. « Nous avons vu sa gloire », s’écrie-t-il. Qu’a-t-il vu ? Quelle gloire a-t-il vue ? « Comme la gloire que le Fils unique reçoit de son Père, plein de grâce et de vérité[3]. » Vois maintenant, vois si nous ne devons pas étouffer des discussions soulevées par la faiblesse ou par la témérité, nous garder d’attribuer aucun mensonge à-la Vérité, et nous empresser de rendre au Seigneur ce qui lui est dû ? Ah ! pour boire avec sûreté, rendons gloire à Celui qui est la source du vrai. « C’est Dieu qui dit vrai, et tout homme est menteur[4]. » Qu’est-ce à dire que le cœur de Dieu est plein, tandis que celui de l’homme est vide : afin donc de se remplir le cœur, que l’homme s’approche de Dieu. « Approchez-vous de lui, et soyez éclairés[5]. » Ah ! si le cœur de l’homme est vide parce que la vérité n’est pas en lui ; n’est-il pas juste qu’il cherche à le remplir, qu’il coure vers la fontaine avec autant d’empressement que d’avidité ? Il a soif et il veut boire. Mais toi, que lui dis-tu ? De se défier de cette fontaine, parce que d’elle jaillit le mensonge. N’est-ce pas prétendre qu’elle est empoisonnée ?
7. C’est assez, reprends-tu, je suis réprimé, je suis châtié. Montre-moi enfin comment il n’y a pas mensonge à dire qu’on ne va pas à la fête, tandis qu’on y va ? – Je le ferai, si j’en suis capable : reconnais cependant que si je ne t’ai pas fait voir encore la vérité, je ne t’ai pas rendu un léger service en te préservant de tout jugement téméraire. Parlons ; mais si tu te rappelles les paroles que j’ai citées, je ne ferai qu’exprimer ce que tu comprends sans doute. La réponse à la question est dans le texte même. Effectivement, la fête durait plusieurs jours, et le Sauveur voulait faire entendre qu’il n’irait pas à la fête le jour même où ses parents comptaient qu’il irait, mais le jour où lui-même se disposait à y aller. Aussi considère ce qui suit : « Après avoir ainsi parlé, dit l’Évangéliste, il demeura en Galilée. » Ce jour-là donc il n’alla pas à la fête. Ses frères auraient voulu qu’il y allât le premier ; aussi lui disaient-ils : « Allez d’ici en Judée. » Non pas : Allons d’ici, comme s’ils avaient dû l’accompagner ; ni : Suivez-nous en Judée, comme s’ils avaient voulu marcher en avant ; ils désiraient seulement que Jésus les précédât. Lui au contraire voulait qu’ils y fussent avant lui, et en ne cédant pas à leurs désirs, il avait dessein de cacher sa divinité et de révéler la faiblesse de sa nature humaine, comme il fit en fuyant en Égypte[6]. Ce n’était point de sa part une preuve d’impuissance, c’était une règle de prudence tracée par la Vérité même. Jésus en effet apprenait par son exemple à ses serviteurs à ne pas dire, quand il est bon de prendre la fuite : Je ne, m’échapperai pas, ce serait honteux. Il devait dire aux siens : « Lorsqu’on vous persécutera dans une ville, fuyez vers une autre ;[7] » et lui-même donna cet exemple. Il fut pris quand il le voulut, et quand il voulut il naquit. Mais afin de n’être pas prévenu par ses frères, pour leur ôter la pensée d’annoncer son arrivée et empêcher qu’on lui dressât des pièges, « Je ne vais pas à ce jour de fête », dit-il. « Je ne vais pas : » voilà pour cacher sa marche ; « à ce jour : » voilà pour éviter le mensonge. Ainsi

  1. Jn. 13, 23
  2. Jn. 5, 35
  3. Jn. 1, 1-14
  4. Rom. 3, 4
  5. Psa. 33, 6
  6. Mat. 2, 14
  7. Id. 10, 23