Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/548

Cette page n’a pas encore été corrigée

de la création, mais il perdit sa force en se laissant aller au péché. Car l’homme alors fut blessé à mort, affaibli, laissé presque sans vie sur le chemin ; et il fallut que le Samaritain, c’est-à-dire que le Gardien qui passait, le mit sur sa monture et le conduisit à l’hôtellerie. Comment peut-il s’enfler d’orgueil ? Il est encore en traitement. – Il me suffit, dit-il, d’avoir reçu dans le baptême la rémission de tous mes péchés. – Mais de ce que l’iniquité soit effacée, s’ensuit-il qu’il n’y ait plus d’infirmité ? – J’ai bien reçu, reprend-il ; la rémission de tous mes péchés. – C’est incontestable ; oui tous les péchés sont effacés par le sacrement de baptême, tous sans exception, péchés de paroles, péchés d’action, péchés de pensée, tout est anéanti. Mais c’est là l’huile et le vin répandus, sur le chemin même, dans les plaies du malade. Vous n’avez pas oublié, mes, très-chers frères, comment ce voyageur blessé et laissé à demi-mort par, les larrons, fut soulagé en recevant cette huile et ce vin dans ses blessures[1]. C’est le pardon accordé à ses égarements, mais il reste languissant et on le soigne dans l’hôtellerie. Cette hôtellerie n’est-elle pas l’Église ? Elle est aujourd’hui une hôtellerie, parce que notre vie n’est qu’un passage ; elle sera une demeure, une demeure d’où nous ne sortirons plus, lorsque parfaitement guéris nous serons parvenus au royaume des cieux. En attendant soyons heureux d’être soignés dans l’hôtellerie, et convalescents encore, ne nous glorifions pas d’avoir recouvré toute notre santé ; cet orgueil pourrait n’aboutir qu’à nous éloigner de tout remède et de toute guérison.
7 « Bénis le Seigneur, ô mon âme. » Dis à cette âme, dis-lui : Tu es encore dans cette vie chargée encore d’une chair fragile, d’un corps corruptible qui appesantit l’âme[2], obligée encore à prendre le remède de la prière malgré l’entière rémission de tes fautes ; car pour obtenir la guérison de ce qu’il te reste de langueurs tu répètes : « Pardonnez-nous nos offenses[3]. » Humble vallée plutôt que fière montagne, dis à ton âme : « Bénis le Seigneur, ô mon âme, et garde-toi d’oublier toutes ses faveurs. » Quelles sont-elles ? Dis-le, énumère-les, rends-en grâces. Quelles sont donc ces faveurs ? « Il te pardonne toutes tes iniquités. » Ce qui s’est fait dans le Baptême. Et maintenant ? « Il guérit toutes les langueurs. » Oui, c’est maintenant, je le reconnais. Mais tant que je suis ici, ce corps corruptible appesantit l’âme. Dis donc aussi ce qui suit ? « Il délivre ta vie de la corruption. » Et après cette délivrance qu’a-t-on à attendre encore ? « Lorsque ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, et ce corps mortel d’immortalité, alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort a été abîmée dans sa victoire. O mort, où sont tes armes ? O mort, est-il dit encore avec raison, où est ton aiguillon ?[4] » Tu en cherches la trace, mais sans la trouver. – Que signifie l’aiguillon de la mort ? Que signifie : « O mort, où est ton aiguillon ? » Cela veut dire : Où est le péché ? On le cherche, il n’est plus. « En effet le péché est l’aiguillon de la mort dit expressément l’Apôtre et non pas moi. On répétera donc alors : « O mort, où est ton aiguillon ? » Il n’y aura plus de péché, ni pour surprendre, ni pour attaquer, ni pour blesser ta conscience. On ne dira plus alors : « Pardonnez-nous nos offenses. » Et que dira-t-on ? « Seigneur notre Dieu, donnez-nous la paix, car vous avez tout fait pour nous[5]. »
8. Qu’y aura-t-il encore, après qu’on sera affranchi de toute corruption, sinon la couronne de justice ? Oui, ou aura à la recevoir encore, mais pour la porter il ne faut pas de tête enflée. Considère comment ce même Psaume exprime cette vérité. Après avoir dit : « Il délivre ta vie de la corruption ; – il te couronne », ajoute-t-il. Je vois ici l’orgueilleux sur le point de dire : Il me couronne, mais, comme le proclament mes mérites, c’est ma vertu qui l’exige, c’est un paiement et non un don. Prête plutôt l’oreille à la voix du psaume avec lequel tu as dit toi-même : « Tout homme est menteur[6]. » Écoute ce que Dieu même t’enseigne : « Il te couronne dans sa miséricorde et sa compassion. » Oui, s’il te couronne, c’est par miséricorde, c’est par compassion. Tu n’étais digne ni d’être appelé, ni d’être justifié après avoir été appelé, ni, après avoir été justifié, d’être admis dans la gloire. « C’est par le choix de la grâce que les restes ont été sauvés. Or, si c’est par la grâce, ce n’est plus par les œuvres, autrement la grâce ne serait plus la grâce[7]. » – « Car pour celui qui travaille le salaire ne sera point considéré comme une grâce, mais comme une dette ; » C’est bien l’Apôtre qui dit : « Non pas comme une grâce, mais comme une dette ;[8] » tandis que c’est dans sa miséricorde et sa compassion

  1. Luc. 10, 30-35
  2. Sag. 9, 15
  3. Mat. 6, 12
  4. 1Co. 15, 54-56
  5. Isa. 26, 12
  6. Psa. 115, 11
  7. Rom. 11, 5
  8. Id. 4, 4