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eux-mêmes : « Ce langage est dur, qui peut le supporter ? » Mais le Seigneur vit tout en esprit, il entendit le bruit de leurs pensées, et pour leur apprendre qu’il avait entendu leurs murmures intérieurs et les déterminer à y mettre un terme, il répondit avant même qu’ils eussent parlé. Que leur dit-il ? « Cela vous scandalise ? Et si, vous voyez le Fils de l’homme remonter où il était d’abord ? »
Qu’est-ce à dire, Cela vous, scandalise ? Croyez-vous que je vais couper mes membres en morceaux afin de vous les donner ? Et « si vous voyez le Fils de l’homme remonter où il était d’abord ? » Vous comprendrez sûrement, en le voyant remonter tout entier, qu’il n’était pas consumable.C'est ainsi qu’il nous dorme avec son corps et avec son sang une alimentation salutaire et qu’il résout en quelques mots l’importante question de son incorruptibilité. Vous qui mangez, mangez donc réellement ; buvez aussi, vous qui buvez ; ayez faim, ayez soif ; mangez la vie, buvez la vie. Manger ce corps, c’est se nourrir, mais se nourrir sans rien retrancher de ce qui nourrit. Qu’est-ce aussi que boire ce sang, sinon puiser la vie ? Mange la vie, bois la vie : ainsi tu l’acquerras en la laissant tout entière. Mais pour y parvenir, pour trouver la vie dans le corps et le sang du Christ, chacun doit manger et boire véritablement et d’une manière toute spirituelle, ce qu’il reçoit dans le Sacrement d’une manière sensible. Effectivement, nous avons entendu dire au Seigneur : « C’est l’esprit qui vivifie et la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai adressées sont esprit et vie : mais il en est parmi vous, poursuit-il, qui ne croient pas. » C’était ceux qui disaient : « Ce langage est dur ; qui peut le supporter ? » Oui, il est dur, mais pour les durs ; il est incroyable, mais pour les incrédules.
2. Afin de nous apprendre que la foi même est gratuite et non pas méritée, Jésus ajoute « Je vous l’ai déjà dit : Personne ne vient à moi, s’il ne lui est donné par mon Père. » Quand le Seigneur a-t-il dit cela ? En nous rappelant ce qui précède, dans le même Évangile, nous remarquerons qu’il a dit : « Nul ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire[1]. » Nous ne lisons pas : Ne le mène, mais ne l’attire. C’est une impulsion donnée au cœur et non au corps. Pourquoi donc t’étonner de ce langage ? Croire, c’est venir ; aimer, c’est être attiré. Ne considère pas cette impulsion comme fatigante et désagréable : elle est douce, elle fait plaisir, c’est le plaisir même qui attire. N’attire-t-on pas la brebis quia faim en lui montrant de l’herbe ? Alors sans doute on ne lui fait pas violence, mais on se l’attache en excitant ses désirs. Viens au Christ de la même manière ; ne conçois pas l’idée d’un long trajet ; croire, c’est venir, en quelque lien que tu sois. Il est partout, et pour l’aborder il ne faut pas de vaisseaux, mais seulement de l’amour, il faut le reconnaître toutefois, on ne laisse pas, dans cette espèce de traversée, que de rencontrer des vagues, des tempêtes, des tentations : afin donc de mettre ta foi en sûreté sur la planche de salut, crois au Crucifié ; et porté par la croix, tu ne sombreras point. C’est ainsi, que naviguait sur les flots de ce siècle l’Apôtre qui s’écriait : « À Dieu ne plaise que je me glorifie si ce n’est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ[2] ! »
3. Toutefois, ce qui étonne, c’est que de deux hommes qui entendent prêcher le Christ crucifié, l’un dédaigne, et l’autre s’attache à lui. Celui qui dédaigne doit s’imputer son dédain ; mais celui qui s’attache au Christ ne doit rien s’attribuer. Le Maître de la vérité ne lui a-t-il pas dit : « Nul ne vient à moi, s’il ne lui est donné par mon Père ? » Qu’il se réjouisse d’avoir reçu ; qu’à son Bienfaiteur il rende grâces avec un cœur vraiment humble et sans orgueil ; l’orgueil lui ferait perdre ce qu’a obtenu l’humilité. Eh ! ceux mêmes qui suivent la voie de la justice, s’en écartent bientôt s’ils attribuent leur vertu à eux-mêmes et à leurs propres forces, Aussi l’Écriture sainte, pour nous enseigner l’humilité, nous dit par l’Apôtre : « Faites votre salut avec crainte et tremblement. » Redoutant même qu’à ce mot : Faites, on ne vienne à s’attribuer quoi que ce soit. L’Apôtre ajoute aussitôt : Car c’est Dieu qui opère en vous et le vouloir et le faire, selon sa bonne volonté[3]. » – C’est Dieu qui opère en vous ; » craignez donc et tremblez, devenez vallées pour recevoir la pluie. Les terrains bas s’en pénètrent, tandis que les hauteurs se dessèchent, et cette pluie est la grâce. Pourquoi s’étonner alors que Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles[4] ? Craignez donc et tremblez, c’est-à-dire, soyez humbles. « Ne cherche pas l’élévation, mais crains[5]. » Crains, pour être pénétré de la grâce ; ne

  1. Jn. 6, 44
  2. Gal. 6, 14
  3. Phi. 2, 12-13
  4. Jac. 4, 6
  5. Rom. 11, 20