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il faut que Dieu même demeure en toi et qu’il s’aime par toi, en d’autres termes, il faut qu’il t’excite à l’aimer, qu’il t’embrase, qu’il t’éclaire, qu’il t’anime.
5. Car il y a lutte dans notre corps même ; notre vie entière est un combat et le combat un danger ; aussi nous ne pouvons vaincre que par la grâce de Celui qui nous aime[1]. N’a-t-il pas été question de ce combat dans la lecture de l’Apôtre, qu’on vient de vous faire ? « Toute la loi, dit-il, est comprise dans cette seule parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Or cet amour vient du Saint-Esprit.« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Vois d’abord si tu sais t’aimer toi-même ; je te recommanderai ensuite d’aimer ton prochain comme tu t’aimes. Mais si tu ne sais t’aimer, ne duperas-tu pas ton prochain comme tu te dupes ? En aimant le péché tu ne t’aimes pas ; un psaume l’atteste : « Aimer l’iniquité, y est-il dit, c’est haïr son âme ?[2] » Si tu hais ton âme, à quoi te sert d’aimer ton corps ? Sans doute, avec cette haine de ton âme et cet amour de ton corps, ton corps ressuscitera, mais il ressuscitera pour le châtiment de ton âme. C’est donc l’âme qu’il faut aimer d’abord et soumettre à Dieu, afin que tout soit réglé dans la subordination, que l’âme obéisse à Dieu et que le corps obéisse à l’âme. Veux-tu que ton corps soit soumis à ton âme ? Que l’âme en toi se soumette à Dieu. Pour gouverner, tu as besoin d’être gouverné ; car la lutte est terrible, et sans une haute direction, la défaite est certaine.
6. En quoi consiste cette lutte ? « Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous consumiez les uns les autres. Or je dis : Marchez selon l’Esprit. » Ce sont les paroles de l’Apôtre, qu’on vient de lire dans son Épître. « Or je dis : Marchez selon l’Esprit et n’accomplissez pas les désirs de la chair. – Or je dis : Marchez selon l’Esprit, et n’accomplissez pas les désirs de la chair ; » l’Apôtre ne dit pas : N’ayez point, ne ressentez point ces désirs, mais : « Ne les accomplissez point. » Que veut-il faire entendre ? Je l’exprimerai le mieux qu’il me sera possible, avec l’aide du Seigneur ; appliquez-vous à comprendre, si vous marchez selon l’Esprit.« Je dis donc : Marchez selon l’Esprit, et vous « n’accomplirez pas les désirs de la chair. » Poursuivons, car il est possible que nous rencontrions plus loin des mots qui jettent de la lumière sur ce qui est obscur ici. Ce n’est pas sans raison, ai-je observé, que l’Apôtre n’a pas voulu dire : N’ayez, ni : Ne ressentez, mais : « N’accomplissez point les désirs de la chair. » C’est en effet en cela que consiste la lutte qu’il nous faut soutenir, le combat où nous nous exerçons, si nous faisons partie de la milice de Dieu. Que rencontrons-nous donc plus loin ? « Car la chair convoite contre l’esprit, et l’esprit contre la chair. Ils sont effectivement opposés l’un à l’autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Si on ne comprend pas bien ces paroles, elles sont très-dangereuses à entendre. C’est dans la crainte qu’on ne se perde en les comprenant mal, que j’ai entrepris, avec le secours du ciel, de les expliquer à votre charité. Du reste nous avons du temps, nous avons commencé matin et l’heure du repas ne nous presse point ; d’ailleurs encore, c’est aujourd’hui, samedi, que nous voyons principalement ceux qui sont affamés de la divine parole. Écoutez donc attentivement, je m’exprimerai aussi exactement que possible.
7. Pourquoi cette observation que je viens de faire : Ces paroles sont dangereuses à entendre si on ne les comprend pas bien ? C’est que beaucoup, vaincus par les damnables passions de la chair, se laissent aller à toutes sortes de crimes et d’infamies et se roulent dans d’exécrables impuretés qu’on serait honteux de nommer, en se répétant ce qu’a dit l’Apôtre. Considère, se disent-ils, comment s’exprime l’Apôtre : « De sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. » Je ne veux pas faire le mal, je suis forcé, violenté, vaincu, je fais ce que je ne veux pas, comme dit l’Apôtre[3] ; « car là chair convoite « contre l’esprit et l’esprit contre la chair, de sorte « que vous ne faites par ce que voulez. » Vous voyez combien ces paroles sont dangereuses à entendre, si on ne les comprend pas bien. Vous voyez combien un pasteur est obligé de découvrir les fontaines couvertes et d’étancher la soif de ses brebis avec une eau pure et inoffensive.
8. Ne te laisse donc pas vaincre en combattant. Voyez à quelle lutte, à quelle mêlée nous sommes appelés, elle est à l’intérieur même, au dedans de chacun de nous. « La chair convoite contre l’esprit. » — Si l’esprit à son tour ne convoite pas contre la chair, voilà l’adultère commis. Mais si l’esprit convoite contre la chair, c’est la lutte, c’est le combat, ce n’est pas la défaite. Quand la chair convoite contre l’esprit », c’est qu’on

  1. Rom. 8, 37
  2. Psa. 10, 6
  3. Rom. 7, 19