Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/530

Cette page n’a pas encore été corrigée

rien vu de semblable, puisque c’est un des mystères « que l’œil n’a point vus. » – Comment donc l’expliquer ? – On ne le saurait, car « l’oreille ne l’a point entendu et il n’est pas « monté dans le cœur de l’homme. » Il faut le croire et le respecter. En le croyant, on le respecte ; en le respectant, on profite ; et en profitant, on finit par le comprendre. Tant que nous sommes revêtus de cette chair, tant que nous voyageons loin du Seigneur, nous sommes, relativement aux Anges qui contemplent ces merveilles, comme des enfants qui ont besoin du lait de la foi, avant de prendre la nourriture solide de la contemplation face à face. Ainsi en effet s’exprime l’Apôtre : « Tant que nous sommes dans ce corps, nous voyageons loin du Seigneur, car c’est par la foi que nous marchons et non par la claire vue [1]. » Nous arriverons effectivement à la claire vue que Jean nous promet en ces termes dans une de ses Épîtres : « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu, et ce que nous serons ne parait pas encore. » – « Nous sommes les enfants de Dieu ; » dès maintenant, parla grâce, par la foi, par les Sacrements, par le sang du Christ, par la rédemption du Sauveur. « Nous sommes les enfants de Dieu ; mais ce que nous serons ne parait pas encore. Nous savons seulement que lorsqu’il apparaîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est[2]. »
6. Voilà dans.quel but on nous allaite ; c’est pour nous rendre capables de saisir, de prendre, de digérer cette autre nourriture ; nourriture mystérieuse qui fortifie merveilleusement sans diminuer entre les mains de celui qui la prend. Les aliments que nous prenons maintenant, nous soutiennent sans doute, mais ils diminuent à mesure que nous les mangeons. Au contraire, lorsque nous nous serons mis à vivre de justice, de sagesse, à manger ce pain immortel, il nous soutiendra sans diminuer : Voyez l’œil ; il vit de lumière, mais il n’amoindrit pas la lumière, puisqu’il en reste autant lorsque plusieurs en jouissent ; si nombreux que soient les yeux qu’elle éclaire, elle demeure ce qu’elle était, elle nourrit sans s’amoindrir. Or, si Dieu a donné un tel pouvoir à la lumière en faveur des yeux qui dirigent notre corps, que ne peut-il lui-même sur l’œil de l’âme ? Si l’on te vantait un aliment distingué que tu vas prendre, tu te disposerais sans doute à en nourrir ton corps ; mais quels éloges ne te fait-on pas de Dieu ? Prépare donc ton âme.
7. Voici ce que te dit ton Seigneur : « Viendra une heure et c’est maintenant. – Viendra une heure et nous sommes » à cette heure, « où. » Où quoi ? « Où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui l’auront entendue, vivront. » Il s’ensuit que ceux qui ne l’auront pas entendue, ne vivront pas. Qu’est-ce que l’entendre ? C’est y obéir, Qu’est-ce que l’entendre ? C’est y croire et la suivre, pour avoir ainsi la vie, Avant donc d’y croire et d’y obéir, on était mort ? Oui, debout ou couché on était mort. Mais que servait à ces morts de marcher ? Hélas ! si quelqu’un de ces morts venait à mourir physiquement, les autres s’empresseraient, ils prépareraient un cercueil, l’y enfermeraient, l’emporteraient, ces morts enfin enseveliraient un mort. Aussi est-il dit : « Laisse les morts ensevelir leurs morts [3]. » Eh bien ! ce sont ces morts que ressuscite la parole de Dieu et qu’elle fait vivre de la foi.L'infidélité en avait fait des morts ; la parole de Dieu en fait des vivants. Quand ? Le Seigneur l’a dit : « L’heure viendra, et c’est maintenant. » Aussi bien sa parole ressuscitait-elle ces victimes de l’infidélité. À elles encore s’adresse l’Apôtre : « Lève-toi, toi qui dors ; lève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera[4]. » Cette espèce de résurrection est la résurrection des esprits, la résurrection de l’homme intérieur, la résurrection de l’âme.
8. Il y a encore une autre résurrection, c’est la résurrection du corps. Quand l’âme est ressuscitée, le corps ressuscite pour son bonheur. Toutes les âmes ne ressuscitent pas, mais tous les corps ressusciteront. Toutes les âmes ne ressuscitent pas, mais seulement celles qui croient et qui obéissent, car il est dit : « Ceux qui l’auront entendue, vivront. » D’un autre côté l’Apôtre observe que « tous n’ont pas la foi[5]. » Or, si tous n’ont pas la foi, c’est que toutes les âmes ne ressuscitent pas. Tous au contraire ressusciteront corporellement, lorsque viendra l’heure de la résurrection des corps ; bons ou mauvais, tous ressusciteront, mais avec cette différence, que si l’âme est ressuscitée déjà, le corps ressuscitera pour son bonheur, tandis que l’âme n’étant point ressuscitée, c’est pour son malheur que ressuscitera le corps. Si l’âme est ressuscitée, le corps ressuscitera pour la vie ; et si l’âme n’est point ressuscitée, c’est pour son supplice que le corps ressuscitera. Après nous avoir parlé de cette résurrection des

  1. 2Co. 5, 6-7
  2. 1Jn. 3, 2
  3. Mat. 8, 22
  4. Eph. 5, 14
  5. 2Th. 3, 2