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craint le châtiment, enfin on n’a point fait l’accord avec son adversaire.
9. En effet les hommes ainsi disposés succombent souvent à cette pensée ; ils disent : Dieu ne devrait-il pas s’abstenir de nous menacer, de faire entendre par ses prophètes ce qui est de nature à détourner de lui ? Ne devrait-il pas, avant de venir, user d’indulgence envers tous, pardonner à tous, venir ensuite et ne jeter personne dans l’enfer ? Ainsi, parce que tu es injuste, tu veux que Dieu le soit ! Dieu veut te rendre semblable à lui, et tu travailles à rendre Dieu semblable à toi ? Aime donc Dieu tel qu’il est, et non tel que tu veux qu’il soit. Car tu es mauvais et tu désires due Dieu soit comme toi plutôt que comme il est. Mais si tu l’aimes tel qu’il est, tu te corrigeras, et tu soumettras ton cœur à cette règle dont s’écarte aujourd’hui ta difformité. Aime Dieu tel qu’il est, chéris le tel qu’il est : pour lui il ne t’aime pas, il te hait plutôt tel que tu es. Sa compassion consiste à te haïr tel que tu es pour te rendre ce que tu n’es pas encore et non ce qu’il est lui-même ; il ne promet pas en effet de te rendre ce qu’il est. Il est vrai, tu seras ce qu’il est, mais dans une certaine mesure ; tu l’imiteras comme le peut une image, mais une image bien différente de son Fils. Parmi nous en effet il y a images et images. Un fils est l’image de son père, il est ce qu’est son père, homme comme lui. Mais ton image dans un miroir est bien loin de toi. Elle est autrement dans ton fils et autrement dans un miroir. Elle est en ton fils dans l’égalité d’une même nature ! Qu’elle est loin, dans un miroir, d’avoir ta nature et cependant c’est ton image, si différente qu’elle soit de celle que porte ton fils. L’image de Dieu dans la créature est aussi fort différente de ce qu’elle est dans son Fils, dans son Fils qui est son égal, le Verbe même de Dieu par qui tout a été fait. Reçois donc cette divine ressemblance que tu as perdue par tes crimes. L’image de l’Empereur n’est-elle pas aussi sur la monnaie autrement que dans son fils ? Il y a image de part et d’autre ; mais elle est imprimée différemment sur la monnaie, différemment dans le fils ; il y a aussi sur un sou d’or une autre image de l’Empereur. Et toi, tu es la monnaie de Dieu ; mais tu l’emportes sur la monnaie proprement dite, parce que tu as l’intelligence et une sorte de vie, parce que tu peux connaître Celui dont tu portes l’image et à l’image de qui tuas été créé ; au lieu que ta monnaie ignore qu’elle est ornée de l’image de l’Empereur. Dieu donc, comme j’avais commencé à le dire, te hait tel que tu es, mais il t’aime comme il veut que tu sois ; aussi t’excite-t-il à changer. Accorde-toi avec lui ; commence par bien vouloir et par te haïr tel que tu es : oui commence ta paix avec la parole de Dieu en commençant à te haïr tel que tu es. Après avoir commencé à te haïr tel que tu es et tel que Dieu. te hait, tu commenceras déjà à l’aimer lui-même tel qu’il est.
10. Considère un malade. Il se hait en tant que malade et par là il commence à s’entendre avec le médecin, qui le hait aussi comme malade. Si en effet il combat en lui la fièvre, c’est qu’il vent le guérir ; il lutte contre le mal, pour en délivrer celui qui l’endure, L’avarice et l’amour déréglé, la haine et la concupiscence, la luxure et la folie des spectacles sont aussi comme les fièvres qui dévorent ton âme, et tu dois les haïr avec le médecin. En cela tu es d’accord avec lui, tu joins tes efforts aux siens, avec plaisir tu écoutes ses ordonnances, tu les suis avec plaisir et tu commences à aimer tes devoirs à mesure que ta santé se rétablit. Combien il en coûte aux malades de prendre de la nourriture ! Ils préfèrent le moment de leur accès au moment où il faut manger. Cependant ne s’efforcent-ils pas comme le veut le médecin ? et malgré toute leur répugnance ils se domptent pour accepter quelque chose. Mais une fois guéris, quel plaisir ils éprouveront à manger ce que dans leur maladie ils peuvent toucher à peine ! Et d’ou vient cette victoire remportée par eux ? De ce qu’ils haïssaient leur fièvre, aussi bien que la haïssait le médecin, de ce que médecin et malade la combattaient ensemble. Nous aussi, lorsque nous parlons de la sorte, nous ne détestons que vos vices ; ou plutôt ils sont détestés en nous par cette parole de Dieu avec laquelle vous devez vous entendre. Hélas que sommes-nous ; sinon des malheureux qui avons besoin d’être délivrés avec vous et avec vous guéris ?
11. Ne me regardez donc plus, considérez seulement la divine parole et ne vous emportez point contre ce remède salutaire. Je n’ai point trouvé d’autre transition, et me voici arrivé à la cinquième des dix cordes de mon psaltérion. Devais-je ne point toucher cette cinquième corde ? Je dois au contraire la faire résonner sans interruption. Ici effectivement je vois le genre humain abattu presque tout entier ; je le vois ici