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obéir à mes conseils, prête l’oreille à la voix de l’Apôtre : « Les perfections invisibles de Dieu, dit-il, sont devenues visibles, depuis la création du monde, par les choses qu’il a faites [1]. »
4. Tu foulais aux pieds ces œuvres, tu les regardais, non pas en homme, mais comme un animal sans raison. Le prophète te criait, mais en vain : « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet, qui n’ont pas d’intelligence[2]. » Tu voyais donc ces œuvres, et tu les dédaignais. Ces merveilles que Dieu produit chaque jour avaient sur toi perdu leurs charmes, non pas qu’elles en manquassent, mais parce que tu étais accoutumé à ce spectacle. Eh ! qu’y a-t-il de plus difficile à comprendre que la naissance et la mort d’un homme, que cette disparition de ce qui était, et cette apparition de ce qui n’était pas ? Est-il rien de plus admirable, rien de moins aisé à expliquer ? Mais pour Dieu, rien de plus facile à produire. Admire ces merveilles, sors de ton engourdissement. Ton admiration ne s’arrête que sur ce qui est extraordinaire ; y a-t-il moins de grandeur dans ce que tu vois ordinairement ? On s’étonne que Jésus-Christ notre Dieu ait rassasié plusieurs milliers d’hommes avec cinq pains ; et on ne s’étonne pas que quelques grains suffisent pour couvrir les campagnes de moissons[3]. À la vue de l’eau changée en vin, on fut frappé de stupeur[4] ; en passant par les racines de la vigne, l’eau du ciel ne se transforme-t-elle pas également ? L’auteur de ces merveilles est le même ; il fait les unes pour te nourrir et les autres pour te les faire admirer. Les unes et les autres toutefois sont également admirables, parce qu’elles sont également les œuvres de Dieu. Un homme voit une chose extraordinaire et il s’étonne. Mais, d’où vient cet homme qui s’étonne ? Où était-il ? D’où – sort-il ? D’ou lui viennent et la forme de son corps ; et ses membres divers, et cet air distingué ? Quelle a été son origine ? Toutes les circonstances n’en étaient-elles pas méprisables ? Il s’étonne, et il est en lui-même le plus grand sujet d’étonnement.D'où viennent donc enfin toutes ces merveilles que tu vois, sinon de Celui que tu ne vois pas ? Mais, comme je le disais, tu ne savais plus les apprécier ; c’est alors que l’auteur se montra, et en faisant des choses extraordinaires, il voulut se révéler à toi dans les plus ordinaires. Il lui avait été dit : « Renouvelez les prodiges[5] ; » et encore : « Signalez vos miséricordes[6]. » Sans doute il les répandait avec profusion, mais personne n’en était frappé. Il s’est donc fait petit pour venir vers les petits ; médecin il a visité ses malades ; et libre de venir quand il voudrait, de faire ce qu’il lui plairait et de juger comme il l’entendrait, car sa volonté est la justice même ; oui, son vouloir est la justice ; ce qu’il veut ne saurait être injuste, ni juste ce qu’il ne veut pas ; il est donc venu ressusciter les morts, et les hommes se sont étonnés de le voir rendre à la lumière ceux qui en avaient déjà joui, quand il la donne chaque jour à ceux qui ne l’ont jamais vue !
5. Malgré ces merveilles, plusieurs l’ont méprisé, moins attentifs à la grandeur de ses œuvres qu’à ses abaissements. Ils semblaient se dire Ces actions sont divines, mais lui n’est qu’un homme. Ici donc tu vois deux choses : un homme et des actes divins. Mais si Dieu seul peut faire des actes divins, cet homme ne serait-il pas un Dieu caché ? Considère bien ce que tu vois, et crois ce que tu ne vois pas. En t’appelant à croire, le Ciel ne t’a pas laissé sans secours ; s’il t’ordonne de croire ce que tu ne saurais voir, ne t’a-t-il pas fait voir ce qui peut te conduire à croire ce que tu ne vois pas ? Dans la création même quels signes révélateurs de Celui qui en est l’auteur ! Il a fait plus, il est venu en personne, il a opéré des miracles. Tu ne pouvais voir Dieu, mais tu pouvais voir un homme ; Dieu donc s’est fait homme, afin de réunir dans sa personne ce qui tombe sous tes sens et ce qui est l’objet de ta foi. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[7]. » En entendant ces mots, tu ne vois rien encore. Mais ce Verbe descend, il naît, il naît d’une femme, lui qui a fait l’homme et la femme ; et quoiqu’il ait fait l’homme et la femme, il ne naît pas de l’homme et de la femme. Si tu le méprises en le voyant naître, peux-tu mépriser la manière dont il naît, puisqu’avant de naître il existait éternellement ? Il a donc pris un corps, il s’est revêtu de chair, il est sorti du sein maternel. Le vois-tu, maintenant ; le vois-tu ? Je parle à un homme de chair ; mais aussi je lui montre un homme de chair ; tu vois en lui une chose, il en est une autre que tu n’y vois pas. Oui, dès sa naissance, il y a en lui deux choses, l’une que tu peux voir et l’autre qui échappe à ta vue ; mais celle que tu verras devra te porter à croire celle que tu ne vois pas. En le voyant

  1. Rom. 1, 20
  2. Psa. 31, 4
  3. Mat. 14, 17-21
  4. Jn. 2, 9-11
  5. Sir. 36, 6
  6. Psa. 16, 7
  7. Jn. 1, 1