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d’Élie, durant quarante jours également ; dans l’Évangile, par le jeune du Seigneur, aussi de quarante jours. Ceci explique encore pourquoi le Seigneur apparut sur la montagne, ayant à ses côtés Moïse et Élie. C’est que la loi et les prophètes rendent témoignage à l’Évangile[1]. Examinons maintenant comment le nombre quarante exprime la perfection de la justice. On lit dans un psaume. « Je vous chanterai, Seigneur, un cantique nouveau ; je vous célébrerai sur le psaltérion à dix cordes[2]. » Ce psaltérion rappelle les dix préceptes de la loi que le Seigneur n’est pas venu abroger, mais perfectionner. De plus cette Loi étant répandue partout a comme quatre points d’appui, l’Orient et l’Occident, le midi et l’aquilon, comme parle l’Écriture. De là vient que ce vase mystérieux, où étaient en images toutes les espèces d’animaux, et qui fut montré à Pierre en même temps qu’une voix disait : « Tue et mange ;[3] » afin de faire connaître que tous les peuples devaient croire et être incorporés à l’Église, comme ce que nous mangeons devient partie de nos organes ; descendait du haut du ciel soutenu par quatre cordes représentant les quatre parties du monde et marquait ainsi la future conversion de l’univers entier. C’est ainsi que le nombre quarante exprime le renoncement au siècle. Ce renoncement comprend la plénitude qui consiste elle-même dans la charité. De là vient encore que nous jeûnons durant quarante jours avant Pâques. Ce jeune est la figure de cette vie pénible où il nous faut accomplir la loi au milieu des travaux, des afflictions et des privations de tout genre. Après Pâques, au contraire, c’est-à-dire après la résurrection du Seigneur, c’est une époque qui représenté notre propre résurrection. Cette époque comprend cinquante jours, parce qu’en ajoutant à quarante le denier ou les dix as de la récompense, on obtient la somme de cinquante. Pourquoi dire le denier de la récompense ? Mais n’avez-vous pas lu que les ouvriers appelés à la vigne, soit à la première, soit à la sixième, soit à la dernière heure, n’ont pu recevoir qu’un denier[4] ? Lors donc que notre justice aura reçu sa récompense, nous serons au nombre cinquante. Nous n’aurons plus qu’à louer Dieu. Aussi chanterons-nous alors l’Alléluia, Alleluia ou louange à Dieu. Mais aujourd’hui, durant cette vie fragile et mortelle, durant cette quarantaine, gémissons dans la prière comme avant la résurrection, afin de louer Dieu plus tard. C’est maintenant l’époque des désirs, ce sera alors le temps des embrassements et des jouissances. Ne manquons pas à notre devoir pendant la quarantaine, afin de goûter le bonheur durant la cinquantaine.
10. Mais qui peut accomplir la loi sans avoir la charité ? Interroge l’Apôtre : « La charité, dit-il, est la plénitude de la loi [5]. » – « Car toute la loi est renfermée dans une seule parole, dans la suivante : Tu aimeras ton prochain comme toi-même[6]. » Et ce précepte de la charité est double. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, et de toute ton âme, et de tout ton esprit. Voilà le grand précepte. En voici un autre qui lui ressemble : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Ainsi parle le Seigneur dans l’Évangile, et il ajoute : « À ces deux commandements se rattachent toute la loi et les prophètes[7]. » Sans cette double charité on ne saurait accomplir la loi, et en ne l’accomplissant pas on est malade. Voilà pourquoi il manquait deux ans à ce malade qui l’était depuis trente-huit. Qu’est-ce à dire, il lui manquait deux ans ? C’est-à-dire qu’il n’accomplissait pas ces deux préceptes. Et que sert d’observer les autres si on n’observe pas ceux-ci ? Tu en accomplis trente-huit ? Sans ces deux points de récompense pour toi. Ces deux que tu violes sont ceux qui mènent au salut et sans lesquels les autres n’ont aucun mérite. « Quand je parlerai les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je suis comme un airain sonnant ou une cymbale retentissante. Et quand je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais toute la foi, au point de transporter les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien. Et quand je distribuerais tout mon bien, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, cela ne me sert de rien[8]. » Ainsi parle l’Apôtre, et tout ce qu’il énumère ici peut être considéré comme les trente-huit ans ; mais parce que la charité y fait défaut, ce n’en est pas moins un état de maladie. Qui en délivrera, sinon Celui qui est venu donner la charité ? « Voici de ma part, a-t-il dit, un commandement nouveau ; c’est que vous vous aimiez les uns les autres[9]. » Or, c’est parce qu’il est venu établir le règne de la charité, et parce que la charité perfectionne la loi, qu’il a pu dire : « Je ne suis pas venu pour abroger, mais pour achever la loi[10]. » Après

  1. Rom. 3, 24
  2. Psa. 143, 9
  3. Act. 10, 11-13
  4. Mat. 20, 1-10
  5. Rom. 13, 10
  6. Gal. 5, 14
  7. Mat. 22, 37-44
  8. 1Co. 13, 1-3
  9. Jn. 13, 34
  10. Mat. 5, 17