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ce psaltérion à dix cordes, dont les trois premières rappellent les préceptes relatifs à Dieu.
7. Après nous avoir dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit, » si l’on ne parlait pas du prochain, nous aurions un trichorde plutôt qu’un décachorde. Mais le Seigneur a ajouté : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ; » puis résumant tout : « Ces deux préceptes renferment la loi et les prophètes [1]. » Toute la loi est comprise dans deux commandements : l’amour de Dieu et l’amour du prochain. A l’amour de Dieu et à l’amour du prochain se rattache donc le Décalogue tout entier : A la première partie, les trois premières cordes, car Dieu est Trinité. Les sept autres cordes, à la seconde partie, à l’amour du prochain et à la manière de vivre parmi les hommes. Cette seconde partie, avec ses sept commandements, comme avec sept cordes, commence à l’honneur dû aux parents. « Honore ton père et ta mère, est-il dit[2]. » C’est en effet sous le regard de ses parents que chacun ouvre les yeux, et cette vie est due à leur amour. Mais à qui pourra obéir celui qui ne sait honorer ses parents ? – « Honore ton père et ta mère, reprend l’Apôtre, c’est le premier commandement[3]. » Comment le premier, puisqu’il est le quatrième ? N’est-ce point parce qu’il est le premier des sept ? Il est le premier de la seconde talle, relative à l’amour du prochain. Voilà pour quel motif la loi a été gravée sur deux tables. Dieu donc sur le mont Sinaï, donna à son serviteur Moisé deux tables qui contenaient les dix préceptes de la Loi, c’est notre psaltérion à dix cordes ; sur la première étaient les trois commandements qui se rapportent à Dieu, et sur la seconde les sept qui concernent le prochain. Sur cette dernière on lisait donc : premièrement : « Honore ton père et ta mère ; » secondement : « Tu ne commettras point d’adultère ; » troisièmement : « Tu ne tueras point ; » quatrièmement : « Tu ne prendras point le bien d’autrui ; » cinquièmement : « Tu ne feras point de faux témoignage ; » sixièmement : « Tu ne convoiteras point la femme de ton prochain ; » septièmement : « Tu ne convoiteras point le bien de ton prochain. » Pour chanter le cantique nouveau sur le psaltérion à dix cordes, joignons ces sept préceptes aux trois premiers qui regardent l’amour de Dieu ;
8. Que votre charité se rende attentive à ce que me suggère le Seigneur. Le peuple juif reçut cette loi, ce décalogue, et il ne l’observa point. Ceux qui la pratiquaient agissaient par crainte du châtiment, non par amour de la justice ils portaient le psaltérion, et ne chantaient pas ; carte chant est un plaisir, la crainte un fardeau. Aussi le vieil homme ne fait pas le bien où il le fait par crainte ; non par amour de la sainteté, non par affection pour la chasteté, la tempérance, la charité, mais par crainte, C’est le vieil homme, et le vieil homme peut chanter le vieux cantique, pas le nouveau. Pour chanter le nouveau cantique, il faut qu’il devienne l’homme nouveau. Mais comment devenir homme nouveau ? Apprends-le, non de moi, mais de l’Apôtre. « Dépouillez, dit-il, le vieil homme et revêtez le nouveau. » Il craint toutefois que d’après ces mots : « dépouillez le vieil homme et revêtez le nouveau, » quelqu’un ne vienne à s’imaginer qu’il faut réellement déposer une chose pour en reprendre une autre, tandis qu’il s’agit du changement de l’homme même. – C’est pourquoi il ajoute : « Aussi quittant le mensonge, dites la vérité [4]. » Voilà ce que signifie : « dépouillez le vieil homme et revêtez le nouveau ; » c’est-à-dire, changez de mœurs : vous aimiez le siècle, aimez Dieu ; vous aimiez les futilités iniques, les plaisirs temporels, aimez le prochain. En agissant par amour, vous chantez le cantique nouveau ; en agissant par crainte, vous agissez sans doute, vous portez le psaltérion, mais sans chanter, vous rejetez même ce psaltérion si vous n’observez pas les préceptes. Mieux vaut encore le porter que de le rejeter, mais aussi mieux vaut chanter avec plaisir que de le porter avec peine ; et on ne chante le cantique nouveau qu’en le chantant avec plaisir, car on est encore sous le vieil homme lorsqu’on porte avec peine ce psaltérion. Mais que dis-je, frères ? attention ! Être encore sous l’empire. de la crainte, c’est n’avoir pas fait l’accord avec son adversaire ; car on craint de voir Dieu venir et d’être damné. On n’aime pas encore la chasteté, on n’aime pas encore la justice et si l’on règle sa conduite, c’est qu’on redoute le jugement divin plutôt qu’on ne condamne la concupiscence qui fait sentir ses atteintes. On n’aime pas encore ce qui est bon ; on n’a point encore de plaisir à chanter le cantique nouveau : le vieil homme fait que l’on

  1. Mt. 22, 37-40
  2. Exod. 13, 12
  3. Éphés. 6, 2
  4. Éphés. 4, 22-25