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l’époque de la réalité. « Nous sommes les enfants de Dieu. »
Ainsi parle Jean, celui qui a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu : » celui qui reposait sur la poitrine du Seigneur et qui puisait dans son cœur ces secrets divins. Il dit donc : « Mes bien aimés, nous sommes les enfants de Dieu, et ce que nous serons un jour ne parait pas encore ; nous savons seulement que lorsqu’il apparaîtra lui-même, nous lui serons semblables, car nous le verrons tel qu’il est[1]. » Ceci nous est promis.
16. Afin toutefois d’y parvenir, et parce que nous ne saurions contempler encore là divinité du Verbe, écoutons son humanité, charnels que nous sommes, prêtons l’oreille au Verbe fait chair ; car s’il est venu parmi nous, s’il s’est chargé de ta faible nature, c’est pour te permettre d’entendre sa forte parole. Et n’est-ce pas avec raison qu’on l’a comparé au lait ? Ne donne-t-il pas du lait aux petits, pour leur donner, quand ils seront grands, le pain de la sagesse ? Souffre donc qu’on t’allaite, pour que tu manges un jour avec avidité. Vois encore comment se forme le lait qu’on donne aux enfants. Ce lait n’est-il pas d’abord sur la table une nourriture ordinaire Mais l’enfant ne saurait manger cette nourriture placée sur la table. Que fait alors la mère ? Elle se l’incorpore, elle la change en lait pour que nous puissions nous en nourrir. Ainsi le Verbe s’est fait chair, afin qu’incapables de prendre encore aucun aliment solide, nous vécussions de lait, comme les petits enfants. Il y a pourtant cette différence : Quand la mère forme le lait avec la nourriture qu’elle a prise, cette nourriture se change réellement en lait ; au lieu que le Verbe est resté immuable, quand il a pris un corps, afin d’en être revêtu. Il n’a alors ni altéré ni transformé sa nature, et sans se changer en homme, il a voulu te parler en se rendant visible comme toi. Absolument immuable et inaltérable, il est devenu un autre toi-même, sans cesser d’être semblable à son Père.
17. Que dit-il en effet lui-même aux petits pour leur apprendre à recouvrer la vue et à s’élever de quelque manière jusqu’à ce Verbe qui a tout fait ? « Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine et quiètes chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur [2]. » Que fait ici le Maître souverain, ce Fils de Dieu, cette Sagesse de Dieu par qui tout a été fait ? Il appelle à lui le genre humain : « Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine, et apprenez de moi. » Tu t’attendais peut-être à entendre dire à la Sagesse divine : Apprenez de moi comment j’ai formé les cieux et les astres ; comment tout était compté dans mon esprit avant d’être formé, et comment je voyais, à la lumière des idées immuables, le nombre même de vos cheveux[3]. Tu t’attendais donc à l’entendre parler ainsi ? Tu te trompais ; elle dira d’abord : « Apprenez que je suis doux et humble de cœur. » Considérez, mes frères, ce que vous avez à apprendre d’abord ; c’est assurément peu de chose. Nous aspirons à ce qui est grand ; pour le devenir, attachons-nous à ce qui est petit. Tu voudrais t’occuper des grandeurs de Dieu ? Occupe-toi d’abord de son humilité. Ne dédaigne pas de devenir humble dans ton intérêt, puisque dans, ton intérêt encore et non dans le sien, Dieu a daigné le devenir. Nourris-toi donc de l’humilité du Christ, apprends à être, humble et garde-toi de l’orgueil. Avoue ta maladie et reste avec patience aux pieds de ton médecin. Une fois que tu seras humble comme lui, tu te relèveras avec lui ; non que lui-même se relève considéré comme Verbe, c’est toi plutôt qu’il relèvera pour le connaître de plus en plus. Tu ne le regardes d’abord qu’en tremblant et en hésitant ; tu le verras ensuite d’un œil plus ferme et avec plus de clarté. Il ne grandit pas, c’est toi qui profites et il semble s’élever avec toi. Oui, mes frères, c’est bien la vérité. Ajoutez foi aux commandements de Dieu et accomplissez-les ; Dieu fortifiera alors votre intelligence. Point de présomption, ne semblez pas mettre la science avant le précepte, ce serait le moyen de rester petits sans vous affermir. Considérez cet arbre, il cherche à descendre pour monter, il enfonce ses racines en bas pour porter sa tête vers le ciel. Ne s’appuie-t-il pas sur l’humilité ? Pour toi, tu veux sans charité comprendre les mystères sublimes, t’élancer dans, les airs sans avoir ale racine ? C’est périr et non grandir. Que par la foi donc le Christ habite en vos cœurs ; enracinez-vous et établissez-vous dans la charité, pour être remplis de toute la plénitude de Dieu[4].

  1. Jn. 3, 2
  2. Mat. 11, 28-29
  3. Mat. 10, 30
  4. Eph. 3, 1719