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sans lumière et je croirai qu’au ciel le Père est sans son Fils.
12. Remarquez bien : nous avons exprimé ce grand mystère autant qu’il nous a été possible ; le Seigneur a eu égard à l’ardeur de vos prières et aux dispositions de votre cœur, et vous m’avez compris dans la mesure de vos forces. Ces vérités pourtant sont ineffables ; ne regardez pas mes paroles comme proportionnées au sujet, puisqu’il m’a fallu comparer ce qui est contemporain à ce qui est coéternel, ce qui est temporel à ce qui subsiste toujours, ce qui s’éteint à ce qui est immortel. Toutefois, puisque le Fils est appelé aussi l’image de son Père, tirons encore de là un rapprochement, quoiqu’il y ait tant de différence, comme nous l’avons dit, entre ces divers objets. Quand un homme est en face d’un miroir, on y voit son image. Mais ceci ne saurait nous aider à rendre sensible le mystère que nous cherchons à expliquer tant soit peu ; car on peut m’objecter que celui qui est en face d’un miroir existait, était né auparavant. Son image ne se reflète qu’à dater du moment où il se met en présence du miroir ; mais il existait avant de s’en approcher. Comment donc établir une comparaison semblable à celle que nous ont offert le feu et la lumière ? Interrogeons ce qu’il y a de plus faible. Il vous a été facile d’observer comment l’eau reproduit les images dès corps. Ainsi, quand un homme passe ou s’arrête au-dessus de l’eau, il y voit son image. Si donc une plante, un arbrisseau ou une herbe, naissait au-dessus de l’eau, n’y naîtrait-elle pas avec son image ? Son image commencerait d’exister en même temps qu’elle, elle ne lui serait pas le moins du monde antérieure. Impossible de me montrer qu’une plante soit née au-dessus de l’eau, et qu’ensuite seulement et non en même temps, son image s’y soit peinte ; elle s’y peint au même moment ; et pourtant l’image vient de la plante, et non la plante de l’image. Elle naît donc avec son image : l’existence de l’image et l’existence de la plante commencent en même temps. N’avoues-tu pas que l’image est produite par la plante et non la plante, par l’image ? L’image vient ainsi de la plante, ce qui engendre et ce qui est engendré commencent en même temps et par conséquent sont contemporains ; et par conséquent encore si la plante avait toujours existé, toujours aussi aurait, existé l’image qu’elle produit, l’image qu’elle engendre ; d’où il suit encore que ce qui engendre peut exister toujours, et toujours aussi exister en même temps ce qui est engendré. Tout l’effort, tout le travail de notre esprit tendait à nous faire l’idée d’une génération éternelle, voilà cette idée. Concluons aussi que le Fils de Dieu porte ce nom pour exprimer qu’il a un Père qui lui donne la vie, et non pour signifier que le Père lui soit antérieur. Toujours le Père existe et toujours existe également le Fils qui procède de lui ; et comme en procédant de lui le Fils en naît, on peut dire que toujours le Fils est né du Père. Le Père existe toujours, et toujours l’image qu’il produit. Ainsi l’image de la plante est produite par la plante, et si la plante eût toujours existé, toujours également aurait existé l’image qu’elle forme. Tu n’as pu découvrir d’êtres coéternels engendrés de pères éternels, et tu viens de rencontrer des êtres contemporains produits par des êtres temporels. Ainsi j’ai l’idée du Fils coéternel de Dieu engendré de son Père éternel. Entre le coéternel et l’éternel il y a la même relation qu’entre le contemporain et l’éternel.
13. Mes frères, il y a.ici, pour éviter les blasphèmes, une petite observation. Constamment on répète : Voilà bien des comparaisons, mais la lumière produite par le feu est moins éclatante que le feu même, et l’image de l’arbrisseau n’a certes pas la même réalité que l’arbrisseau. – Sans doute, il y a ici ressemblance, mais non pas égalité absolue et c’est pourquoi il ne parait pas y avoir même nature. Que répondre alors si on nous disait : Le Fils est donc au Père ce que la lumière est au feu, et l’image à l’arbrisseau ? – Je vois que le Père est éternel et que le Fils est coéternel au Père ; mais dirons-nous qu’il ressemble à la lumière en tant qu’elle est moins éclatante que le feu, et à l’image en tant qu’elle a moins de réalité que l’arbrisseau ? Nullement ; il y a ici égalité parfaite. – Je n’en crois rien, dit-on, puisque tu ne découvres rien de semblable — Eh bien ! crois-en l’Apôtre, car il a pu voir ce que j’enseigne. Le Christ, dit-il, « n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu[1]. » C’est une égalité parfaite et absolue. Mais pourquoi ne l’a-t-il pas usurpée ? C’est qu’il ne se l’attribue que parce qu’elle lui appartient.
14. Réunissons maintenant ces rapports divers, ces deux espèces d’êtres ; peut-être trouverons-nous dans la créature quelque similitude qui nous aide à comprendre comment le Fils est coéternel au

  1. Phi. 2, 6