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ni être au dessous de lui comme valeur. Tout sans doute est au dessous de lui, puisque « tout a été fait par lui ; » mais rien ne saurait en être le prix même inférieur. Et toutefois, si l’on peut.parler ainsi, si la raison ou l’habitude permettent de s’exprimer de la sorte, le prix à donner pour acheter le Verbe est l’acheteur lui-même, et en se donnant à lui il s’enrichit. Voulons-nous acheter quelque chose ? Nous cherchons ce que nous pourrons donner en échange de ce que nous désirons, et ce que nous donnons alors est hors de nous ; s’il est dans nos mains nous nous en dessaisissons pour prendre en retour ce que nous achetons. Ainsi, quel que soit le prix d’achat, il faut le céder pour obtenir ce qu’on a en vue ; on ne se cède pas pourtant soi-même, mais on acquiert l’objet qu’on paie. Quant au Verbe, il ne faut pas, pour se le procurer, chercher hors de soi, il faut se donner soi-même, et en se donnant on ne se perd pas comme on perd le prix d’une autre acquisition.
2. Ainsi le Verbe de Dieu s’offre à tous ; l’achète qui le peut, et on le peut avec une volonté pieuse. Dans lui en effet, se trouve la paix, et cette paix passe sur la terre aux hommes de bonne volonté [1]. Afin donc de se le procurer, il faut se donner, chacun en est comme le prix. Mais peut-on employer cette expression, quand en se donnant pour acquérir le Verbe on ne se perd pas, quand au contraire on se gagne en s’abandonnant à lui ? Et que lui donne-t-on en se donnant ? – On ne lui donne point quelque chose qui lui soit étranger, on lui rend pour le refaire ce que lui-même a fait, car « tout a été fait par lui. » Si en effet il a fait tout, il a fait sans aucun doute l’homme comme le reste. Si c’est à lui que doivent l’existence et le ciel, et la terre, et la mer, et tout ce qu’ils renferment, et toutes les créatures enfin ; n’est-il pas plus manifeste encore qu’il est l’auteur de l’homme, fait par lui à l’image de Dieu.
3. En ce moment, mes frères, nous ne cherchons pas à expliquer comment peuvent s’entendre ces mots : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. » On peut les entendre dans le silence de la méditation, les paroles humaines n’en sauraient donner l’intelligence. C’est du Verbe de Dieu qu’il est ici question et nous voulons dire ce qui empêche de le connaître. Remarquez, nous n’entreprenons pas de le faire comprendre, nous exposons ce qui empêche d’en avoir une idée parfaitement juste.C'est que ce Verbe est une forme, mais une forme qui n’est pas formée, et qui au contraire a formé tout ce qui l’est ; formé immuable où il n’y a ni déchet, ni déclin, qui n’est astreinte ni au temps ni au lieu, qui domine tout et qui est partout, qui sert à la fois de fondement pour tout appuyer et de faîte pour tout couronner. Dire que tout est en lui, ce n’est pas une erreur ; car ce Verbe est appelé la Sagesse de Dieu, et il est écrit : « Vous avez tout fait d’ans votre Sagesse [2]. » Ainsi tout est en lui, et pourtant, parce qu’il est Dieu, tout est au-dessous de lui. Ce qu’on vient de lire est incompréhensible, et si on l’a lu, ce n’était pas pour le faire comprendre à l’esprit humain, mais pour lui inspirer le regret de ne le comprendre pas, pour lui faire découvrir ce qui lui en ôte l’intelligence, pour le porter à écarter ces obstacles et à soupirer après la connaissance de ce Verbe immuable en changeant lui-même de mal en bien. Le Verbe en effet ne profite ni ne gagne à être connu, il reste toujours le même ; le même si on s’approche de lui et le même si on reste près de lui ; le même si on s’en éloigne et le même si on y revient, et en restant toujours le même il renouvelle tout. C’est ainsi qu’il est la forme de tout ; mais forme incréée, indépendante, comme nous l’avons dit, et du temps et de l’espace. En effet ce qui est dans un lieu quelconque y est nécessairement circonscrit. Une forme circonscrite a des limites, des limites qui la prennent à son origine et la conduisent à son terme. De plus, ce qui est contenu dans un lieu, ce qui a un volume et une étendue quelconque, est moindre dans l’une de ses parties que dans son tout. Fasse le ciel que vous me compreniez !
4. A la vue, des corps qui sont sous nos yeux, que nous touchons et au milieu desquels nous vivons, nous pouvons constater chaque jour que chacun d’eux, quelle qu’en soit la forme, occupe localement une place. Or tout ce qui occupe une place est moindre dans l’une de ses parties que dans son tout. Une partie du corps humain comme le bras, est sûrement moindre que tout le corps. Mais si le bras est moindre, il occupe un moindre espace. Ainsi la tête, autre partie du corps, occupe également un espace moindre parce qu’elle n’a pas autant de volume que tout le corps. Ainsi en est-il de tous les objets contenus

  1. Luc. 2, 14
  2. Psa. 103, 24