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vaines et funestes, rendons-nous à ce banquet pour y nourrir notre âme. Ne nous laissons arrêter ni par l’orgueil qui pourrait nous enfler, ni par une curiosité coupable qui pourrait s’effrayer et nous éloigner de Dieu, ni par les voluptés charnelles qui nous priveraient des délices du cœur. Venons et puisons des forces. Mais quels furent ceux qui se rendirent alors au festin ? N’était-ce pas des mendiants, des malades, des boiteux, des aveugles ? On n’y vit ni les riches, ni les bien portants, ni ceux qui croyaient marcher droit ou avoir la vue pénétrante, présumant beaucoup d’eux-mêmes et d’autant plus désespérés qu’ils étaient plus superbes. Accourez, mendiants, car l’invitation vient de Celui qui pour nous s’est fait pauvre quand il était riche, afin de nous enrichir par sa pauvreté [1]. Accourez, malades, car le médecin n’est pas nécessaire à qui se porte bien mais à qui a mal[2]. Accourez, boiteux et dites-lui : « Affermissez mes pas dans vos sentiers[3]. » Accourez, aveugles, pour lui dire encore : « Éclairez mes yeux, de peur que je ne m’endorme un jour dans la mort[4]. »

Tels sont ceux qui se rendirent au moment prescrit, tandis que les premiers invités méritèrent en s’excusant, d’être rejetés. Lors donc qu’au moment voulu les autres furent accourus du milieu des places et des carrefours de la ville, « le serviteur » envoyé pour les chercher répondit : « Seigneur, il a été fait comme vous l’avez ordonné, et il reste de la place. – Va dans les chemins et le long des haies et force à entrer ceux que tu rencontreras. » N’attends pas qu’il leur plaise d’entrer, force-les. J’ai préparé un grand festin, une salle immense, je ne souffrirai pas qu’il y ait des places vides. – C’est ainsi que les gentils sont venus du milieu des rues et des places publiques ; puissent les hérétiques venir du milieu des haies ! Les haies ne sont-elles pas des limites de séparation ? Arrachez-les à leurs haies, tirez-les du milieu de leurs épines. Ils y sont attachés, ils ne veulent pas être forcés à en sortir. Nous voulons, disent-ils, nous réunir librement à vous. Telle n’est point la volonté du Seigneur. « Contraignez-les d’entrer, » dit-il ; la contrainte extérieure fera naître à l’intérieur la bonne volonté.




SERMON CXIII.

LES RICHESSES D’INIQUITÉ[5].




ANALYSE. – Les pauvres dont on doit se faire des amis avec les richesses d’iniquité pour être reçu par eux dans les tabernacles éternels sont les serviteurs du Christ qui ont tout abandonné pour l’amour de lui. Mais quelles sont ces richesses d’iniquité avec lesquelles on doit se faire des amis ? Ce ne sont pas, comme se l’imaginent quelques-uns, les biens que l’on ravit injustement pour faire l’aumône, car pour ceux-là on est obligé à les restituer comme Zachée ; ce sont les biens que l’iniquité appelle richesses, quoiqu’elles soient pleines de pauvreté, car les vraies richesses sont dans l’amour de Dieu, qui peut seul nous rendre heureux.

1. Nous vous devons les avertissements qui s’adressent à nous. Dans la lecture de l’Évangile qui vient d’être faite, on nous presse de nous faire des amis avec les richesses d’iniquité, afin que ces amis nous reçoivent un jour dans les tentes éternelles.

Mais qui aura des tentes éternelles, sinon les saints de Dieu ? Et quels sont ceux qu’ils y recevront, sinon ceux qui pourvoient à leurs besoins et leur donnent avec joie ce qui leur est nécessaire ? Rappelons-nous le jugement suprême ; à ceux qui seront à sa droite le Seigneur dira en effet : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger », et le reste, que vous savez. Et comme ils lui demanderont à quel moment ils ont pu lui rendre ces services : « Chaque fois, leur répondra-t-il, que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. » Ce sont ces plus petits qui reçoivent dans les tentes éternelles, et le Seigneur le fait entendre soit aux hommes de sa droite qui ont pratiqué la charité, soit aux hommes de sa gauche qui ont refusé d’en accomplir les devoirs.

Qu’ont obtenu cependant ou plutôt qu’obtiendront les hommes de la droite qui s’y sont montrés fidèles ? « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès la formation du monde. Car j’ai eu faim et vous

  1. 2Co. 8, 9
  2. Mat. 9, 12
  3. Psa. 16,6
  4. Psa. 12, 4
  5. Luc. 16, 9