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SERMON CXII. OBSTACLES A LA CONVERSION[1].

ANALYSE. – En expliquant la parabole du festin nuptial, saint Augustin montre que les prétextes alléguées par les invités qui refusent de s’y rendre, se réduisent aux trois concupiscences signalées par l’Apôtre saint Jean, savoir : l’orgueil de la vie, la curiosité sensuelle et la convoitise de la chair.


1. Ces saintes lectures nous sont faites, et pour que nous y prêtions l’oreille, et pour que nous y puisions, avec l’aide du Seigneur, un sujet d’entretien. Le texte de l’Apôtre rend grâces à Dieu de la foi des gentils, et avec raison, car elle est son œuvre. Nous répétions en chantant le Psaume : « Dieu des vertus, attirez-nous, montrez-nous votre face et, nous serons sauvés[2]. »
Quant à l’Évangile il nous a invités au festin, ou plutôt il en a invité d’autres, puisque, sans nous y inviter, il nous y a menés, nous a même forcés d’y prendre part. Voici en effet ce que nous venons d’entendre : « Un homme fit un grand festin. » Quel est cet homme, sinon Celui qui est médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus homme[3] ? Il envoya ensuite chercher les invités, car l’heure était venue pour eux de se rendre au banquet. Quels sont ces invités, sinon ceux qu’avaient conviés les Prophètes envoyés par lui ? Quand les avaient-ils invités ? Depuis longtemps, car les Prophètes n’ont cessé depuis que Dieu les envoie, de convier au festin du Christ. Envoyés donc vers le peuple d’Israël et envoyés fréquemment, ils ont sans relâche pressé ce peuple de venir pour le moment du repas. Mais tout en recevant les Prophètes qui les invitaient, les Juifs refusèrent de se rendre au festin. Qu’est-ce à dire : tout en recevant les Prophètes qui les invitaient, ils refusèrent de se rendre au festin ? C’est-à-dire que tout en lisant les prophètes ils mirent le Christ à mort. Or, en le mettant à mort, ils nous ont, sans s’en douter, préparé un festin ; et quand ce festin a été préparé, quand le Christ a été immolé, quand, après la résurrection du Christ, le banquet mystérieux que connaissent les fidèles, a été institué par lui, consacré par ses mains et par ses paroles, les Apôtres ont été envoyés vers ces mêmes hommes à qui avaient d’abord été adressés les Prophètes. Venez au festin.
2. Mais en refusant ils apportèrent des excuses. Quelles excuses ? Trois. « L’un dit : J’ai acheté une métairie, je vais la voir, excusez-moi. Un autre dit : J’ai acheté cinq paires de bœufs, je vais les essayer ; excusez-moi, je vous prie. Un troisième dit : J’ai pris une femme, excusez-moi, je ne puis venir. » Ne sont-ce pas là, croyez-vous, les prétextes qui retiennent quiconque refuse de se rendre au divin banquet ? Examinons, sondons, comprenons ces prétextes, mais pour les éviter.L'achat de la métairie est un signe de l’esprit de domination. Ici donc le Sauveur flagelle l’orgueil, car c’est par orgueil qu’on aime à avoir, à garder, à conserver des domaines et à y entretenir des serviteurs que l’on se plaît à commander. Vice désastreux ! vice primordial ! Car en refusant d’obéir, le premier homme voulut commander. Et qu’est-ce que commander, sinon relever de sa propre autorité ? Au-dessus de nous toutefois est une autorité plus haute ; soyons-lui soumis, afin de pouvoir être en sûreté. « J’ai acheté une métairie; excusez-moi. » C’est l’orgueil qui empêche de se rendre à l’invitation.
3. « Un autre dit : J’ai acheté cinq paires de bœufs. » Ne suffisait-il pas de dire : J’ai acheté des bœufs ? Sans aucun doute, il y a ici quelque mystère qui par son obscurité même nous invite à l’étudier et à le pénétrer. C’est une porte close qui nous appelle à frapper. Ces cinq paires de bœufs sont les cinq sens corporels. Chacun le sait effectivement, nos sens sont au nombre de cinq, et s’il en est qui ne l’aient pas remarqué encore, il suffit pour les leur faire connaître, d’éveiller leur attention. Nos sens sont donc au nombre de cinq : la vue qui réside dans les yeux ; l’ouïe, dans les oreilles ; l’odorat, dans les narines ; le goût, dans la bouche ; le toucher, dans tout le corps. C’est la vue qui distingue ce qui est blanc et noir, ce qui est coloré d’une manière quelconque, ce qui est clair et obscur. L’ouïe discerne les sons rauques et les voix harmonieuses. À l’odorat de sentir ce qui exhale bonne ou mauvaise odeur.

  1. Luc. 14, 16-24
  2. Psa. 79, 2
  3. 1Ti. 2, 6