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tombée cette prétendue divinité qu’on appelait Céleste et qu’on voit maintenant bien terrestre.
13. On a tort aussi de publier que Rome a été prise et saccagée aussitôt après la destruction de ses dieux. Rien de plus faux ; les idoles étaient renversées bien auparavant, et même, depuis, les Goths furent vaincus sous la conduite de Rhadagaise. Rappelez vos souvenirs, mes frères, rappelez vos souvenirs ; il n’y a pas longtemps, il y a seulement quelques années que ceci s’est passé. Après que toutes les idoles eurent été renversées dans la ville de Rome, Rhadagaise, roi des Goths, y accourut avec une grande armée, une armée bien plus grande que celle d’Alaric. Rhadagaise était païen et sacrifiait chaque jour à Jupiter. On publiait de toutes parts qu’il ne cessait d’offrir des victimes. Aussi tous les païens disaient-ils alors : Nous ne sacrifions pas et lui sacrifie, nous devons donc nous attendre à être vaincus. Mais pour montrer que de ces sacrifices ne dépendent ni le salut temporel, ni l’existence des empires, Dieu fit essuyer à Rhadagaise une défaite surprenante. Vinrent ensuite d’autres Goths qui ne sacrifiaient point ; ils n’étaient pas chrétiens catholiques, mais ils détestaient les idoles ; et avec leur haine des idoles ils s’emparèrent de Rome, triomphant ainsi de ceux qui mettaient leur espoir dans les faux dieux, qui recherchaient encore des idoles renversées et voulaient leur offrir encore des sacrifices. Nos frères sans doute étaient là aussi et ils eurent à souffrir ; mais ils savaient répéter « Je bénirai le Seigneur en tout temps [1]. » Ils souffrirent dans un empire terrestre, mais ils ne perdirent point le royaume des cieux ; au contraire, ces afflictions temporelles les rendirent meilleurs et plus capables d’en faire la conquête. S’ils n’ont pas blasphémé au milieu de leurs épreuves, ils ressemblent à des vases qui sortent intacts de la fournaise et ils sont remplis des bénédictions du ciel. Quant à ces blasphémateurs qui recherchent les choses de la terre, qui les désirent et y mettent leur espoir, une fois que, bon gré, mal gré, elles leur auront échappé„ que posséderont-ils encore ? où pourront-ils s’arrêter ? N’ayant rien au dedans ni rien au-dehors, la conscience plus dénuée encore que la bourse, où sera leur repos ? où sera leur salut ? où sera leur espoir ? Ah ! qu’ils viennent, qu’ils cessent de blasphémer et apprennent à adorer,: que ces scorpions avec leurs dards soient mangés par la Poule mystérieuse et transformés par elle en son corps ; qu’ils s’exercent sur la terre, pour être couronnés dans le ciel.


SERMON CVI. DE L’AUMÔNE VÉRITABLE[2].

ANALYSE. – Après avoir rappelé, avec le texte évangélique, que la justice réside essentiellement dans le cœur, saint Augustin se demande comment toutefois Notre-Seigneur semble assurer que l’aumône suffit pour purifier l’âme. Cette aumône, répond-il, doit être suffisante or elle ne l’est pas si d’abord on ne se la fait à soi-même en aimant Dieu de tout son cœur et le prochain comme soi-même.


1. Vous avez compris, à la lecture du saint Évangile, comment les reproches adressés par le Seigneur Jésus aux Pharisiens apprennent à ses disciples à ne pas faire consister la justice dans la netteté du corps. Chaque jour en effet ces Pharisiens se lavaient le corps avant de manger ; comme si ces ablutions de chaque jour pouvaient purifier le cœur. Le Seigneur aussi montre à nu ces Pharisiens. Il le pouvait, puisqu’il les voyait, puisqu’à ses yeux leur âme était sans voile aussi bien que leur face. Ce qui le prouve ici même, c’est que le Pharisien à qui répondit le Sauveur n’avait eu qu’une pensée intérieure sans l’exprimer, et que néanmoins le Sauveur l’entendit. Dans sa pensée en effet il blâmait le Seigneur Jésus de se mettre à sa table sans s’être lavé. Ce blâme n’était pas exprimé, mais il fut entendu et on y répondit, quoi ? « Vous autres, Pharisiens, vous nettoyez maintenant le dehors du plat ; mais à l’intérieur vous êtes remplis d’hypocrisie et de rapine.

  1. Psa. 33, 2
  2. Luc. 11, 39-42