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dis-tu, tout s’en va. Pourquoi ces murmures ? Dieu ne m’a point promis que tout cela ne périrait pas ; le Christ non plus ne l’a point promis. Éternel il n’a point promis ce qui est éternel, et si je crois, je deviendrai éternel moi-même, de mortel que je suis. Pourquoi faire tant de bruit, ô monde immonde ? Pourquoi tant murmurer ? Pourquoi chercher à me détourner de Dieu ? Tu veux me retenir ici, et tu t’en vas ? Que ne ferais-tu point, s’il n’y avait en toi que douceur, puisque tout amer que tu sois, tu sembles nous présenter de doux aliments ? Si donc je conserve, si je garde ainsi mon espérance, l’œuf mystérieux n’est point écrasé par le scorpion. « Je bénirai le Seigneur en tout temps ; sa louange sera toujours sur mes lèvres[1]. » Que le monde prospère ou tombe en ruines, « Je bénirai le Seigneur » qui a fait le monde ; oui je le bénirai. Qu’humainement parlant le monde soit en bon ou en mauvais état ; « Je bénirai le Seigneur en tout temps, toujours sa louange sera dans ma bouche. » Bénir Dieu quand le monde prospère et blasphémer quand il est éprouvé, ce serait être blessé par l’aiguillon du scorpion et regarder derrière. Dieu nous en préserve ! « Le Seigneur a donné, le « Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur « ainsi il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni[2] ! »
9. La cité qui nous a donné le jour subsiste encore, grâces à Dieu. Ah ! si seulement elle naissait à la vie spirituelle et passait avec nous à l’éternité ! Mais si cette cité qui nous a engendrés à la vie terrestre ne doit pas subsister toujours ; toujours subsistera celle qui nous a fait naître à la vie céleste. « C’est le Seigneur qui a bâti Jérusalem[3]. » Mais a-t-il en dormant laissé crouler son édifice ? Y a-t-il laissé entrer l’ennemi pour n’avoir pas veillé sur lui ? « Si le Seigneur ne protège la cité, c’est en vain qu’on veille à sa garde.[4] » Quelle est cette cité ? « Le protecteur d’Israël ne dort ni ne sommeille.[5] » Or qu’est-ce qu’Israël, sinon la postérité d’Abraham ? Et qu’est-ce que la postérité d’Abraham, sinon le Christ, comme le dit l’Apôtre ? Et nous, que sommes-nous ? « Vous êtes au Christ, poursuit-il ; conséquemment de la postérité d’Abraham et les héritiers de la promesse[6]. Toutes les nations, est-il dit en effet, seront bénies dans ta postérité[7]. » Voilà la cité sainte, la cité fidèle, la cité qui est étrangère sur la terre mais qui a ses fondements au ciel. O fidèle, ne perds point tes espérances, ne perds point la charité ; ceins-toi les reins et attends que ton Seigneur revienne des noces[8]. Pourquoi trembler en voyant périr les royaumes de la terre ? N’est-ce pas pour t’empêcher de succomber avec eux qu’un autre royaume t’a été promis au ciel ? Et n’a-t-il pas été prédit, prédit sûrement que ces royaumes de la terre périraient ? Nous, ne pouvons le nier : ce Seigneur que tu attends a dit en propres termes : « Les nations se jetteront l’une sur l’autre et les royaumes sur les royaumes[9]. » Ces royaumes subissent des révolutions ; mais viendra celui dont il est écrit qu’il n’aura pas de fin.
10. Il est des hommes qui ont promis cette immortalité aux royaumes de ce monde ; ils ne disaient pas vrai, l’adulation les faisait mentir. Un de leurs poètes représente Jupiter disant des Romains : « Je ne leur fixe ni limites ni durée ; je leur donne un empire éternel[10]. » Mais tel n’est point le langage de la vérité. O donneur qui n’as rien donné, ce prétendu royaume éternel, où l’as-tu placé ? Sur la terre ou au ciel ? Sur la terre assurément. Du reste, fût-ce au ciel, « le ciel et la terre passeront[11]. » Or si les œuvres de Dieu même doivent passer, combien plus vite encore l’œuvre d’un Romulus. Peut-être même, si nous voulions attaquer Virgile et lui reprocher d’avoir ainsi parlé, nous prendrait-il à part pour nous dire : Je sais comme vous, ce qu’il en est ; mais pour vendre mes vers aux Romains, ne devais-je pas les flatter et leur faire de mensongères promesses ? Remarquez toutefois quelles précautions j’ai prises en écrivant ces paroles : « Je leur donne un empire éternel. » C’est leur Jupiter que j’ai mis en scène pour lui prêter ce langage. Ce n’est pas en mon nom que j’ai dit ce mensonge, c’est à Jupiter que j’ai fait remplir un rôle trompeur. Ne fallait-il pas qu’il fût aussi faux prophète qu’il était faux dieu ? D’ailleurs, voulez-vous savoir que je ne me faisais pas illusion ? Quand ailleurs je n’ai pas prêté la parole à Jupiter, c’est-à-dire à une pierre, mais que j’ai parlé en mon nom, j’ai dit expressément : « Ce n’est ni la fortune de Rome ni son règne périssable[12]. » Observez comment j’ai nommé son règne un règne périssable, je l’ai dit sans hésitation. – Il parlait donc sincèrement quand il a nommé ce règne périssable ; et en flatteur quand il l’a dit éternel.

  1. Psa. 32, 2
  2. Job. 1, 21
  3. Psa. 146, 2
  4. Psa. 126, 1
  5. Ps 120, 4
  6. Gal. 3, 16, 29
  7. Gen. 22, 18
  8. Luc. 12, 35-36
  9. Mrc. 13, 8
  10. Enéid. liv. 1, vers 278, 279
  11. Luc. 21, 33
  12. Géorg. liv. 2, vers 498