Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/459

Cette page n’a pas encore été corrigée

SERMON CV. LES TROIS PAINS[1].

ANALYSE. – Quoique ce discours ne soit que l’explication de ce que dit Notre-Seigneur au chapitre 11, 5-13, selon saint LUC, on y distingue deux parties manifestes. La première est l’explication proprement dite du texte sacré, et la seconde la réfutation des calomnies lancées par les païens contre le Christianisme, à propos du sac de Rome par Alaric. – I. La parabole employée ici par le Sauveur est une excitation bien pressante à la prière. Mais quel est le sens des principaux traits qu’elle renferme ? L’ami qui vient frapper à la porte de son ami pour en obtenir les trois pains nécessaires aux trois hôtes qui viennent de lui arriver pendant la nuit, ne désigne-t-il pas l’embarras où nous nous trouvons quelquefois pour répondre à certaines questions religieuses ? Nous aussi demandons trois pains. Ces trois pains sont d’abord une foi claire et ferme au mystère adorable de la Trinité. Ces trois pains sont aussi les trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité ; et l’on peut croire que ces trois vertus sont particulièrement représentées dans la même parabole par le pain, le poisson et l’œuf. Le pain est le symbole de la charité qui le donne, et si Notre-Seigneur y oppose la pierre, c’est que rien n’est contraire à cette vertu comme la dureté. Le poisson rappelle la foi, qui conserve toute sa vigueur au milieu des tempêtes et des agitations du siècle, sans se laisser dévorer par le serpent infernal. L’œuf enfin qui n’est que la promesse d’un poussin, l’œuf dont le germe est recouvert et voilé par la coque, représente convenablement l’espérance des biens futurs que l’on ne voit pas encore. Le scorpion qui cherche à le détruire est-il autre chose que ce monde ennemi qui cherche à détourner nos regards de l’éternelle félicité ? – II. Le monde attribue au Christianisme la ruine de Rome. Mais, premièrement, est-ce que le Christ a promis que Rome subsisterait éternellement ? Il n’a promis l’éternité qu’à la Jérusalem céleste, et les poètes flatteurs de Rome ne l’ont jamais sérieusement considérée comme une ville impérissable. Au milieu de nos épreuves allons plutôt déposer notre espérance sous les ailes de Jésus-Christ. Secondement, comment les dieux païens, si on avait continué de les adorer à Rome, auraient-ils préservé Rome de sa ruine, puisqu’ils n’ont pu se préserver eux-mêmes de la destruction ? Troisièmement enfin, ce qui prouve l’impuissance des idoles, c’est que Rome n’a pas été prise par l’adorateur des idoles qui voulait y en rétablir le culte, mais par un ennemi des idoles. Dans ce sac douloureux, les chrétiens, il est vrai, ont eu beaucoup à souffrir ; mais pour eux quel dédommagement dans l’autre vie, tandis que les infidèles perdent tout en perdant ce monde !


1. Nous avons entendu Notre-Seigneur, notre céleste Maître, notre conseiller fidèle, lui qui nous presse de demander et qui nous donne quand nous demandons ; nous l’avons entendu, dans l’Évangile, nous exciter à le prier avec instances et à frapper jusqu’à paraître opiniâtres. Voici l’exemple qu’il nous propose. Supposez, dit-il, que l’un de vos amis vienne la nuit vous demander trois pains, parce qu’un de ses amis vient de lui arriver et qu’il n’a rien à lui offrir ; supposez que celui à qui il s’adresse réponde qu’il repose et ses serviteurs avec lui, et qu’on ne doit pas troubler son sommeil par d’inutiles prières, mais que le premier insiste, continue à frapper sans se laisser intimider, sans s’éloigner et que, contraint par la nécessité, il fasse en quelque sorte des menaces ; l’autre se lèvera, sinon par égard pour les devoirs de l’amitié, au moins pour faire cesser tant d’importunité, et donnera tous les pains qui lui seront demandés. Et combien lui en demande-t-on ? Trois seulement. À cette parabole le Seigneur joint une exhortation et nous presse vivement de demander, de chercher, de frapper, jusqu’à ce que nous ayons obtenu ce que nous demandons, ce que nous cherchons, ce que nous voulons nous faire ouvrir. Il se sert pour cela d’un exemple emprunté aux contraires. C’est un juge qui n’avait ni crainte de Dieu ni égards pour personne ; mais fatigué et vaincu par les instances qu’une pauvre veuve ne cessait de lui faire chaque jour, il finit par lui accorder malgré lui, ce qu’il n’avait pu se déterminer à lui octroyer avec bienveillance [2]. Mais Celui qui supplie avec nous et qui donne avec son Père, Jésus-Christ Notre-Seigneur, ne nous presserait pas autant de demander, s’il n’était disposé à accorder. Rougis donc, paresse humaine. Oui, Jésus est mieux disposé à nous donner que nous à accepter ; plus disposé à faire miséricorde que nous ne le sommes à sortir de la misère : et pourtant nous y resterons s’il ne nous en tire, car ses invitations n’ont en vue que' notre intérêt.
2. Éveillons-nous enfin, fions-nous à ses avertissements, ayons égard à ses promesses, réjouissons-nous de ses dons. Nous aussi n’avons-nous pas été visités par quelqu’un de nos amis en voyage, sans avoir de quoi lui offrir, et dans notre besoin n’avons-nous pas été obligés de recevoir, et pour nous et pour lui ? Il est impossible en effet qu’un ami n’ait adressé des questions auxquelles on n’a pu répondre, et qu’au moment où il fallait donner on ne se soit trouvé à court. L’ami qui t’arrive est en voyage, c’est-à-dire qu’il vit dans ce monde où nous passons tous comme des voyageurs, sans que personne y reste comme propriétaire, et où

  1. Luc. 11, 5-13
  2. Luc. 18, 1-8