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sont éternelles. On ne lui ôtera donc pas le choix qu’elle a fait ; on ne le lui ôte pas, mais on y ajoute ; on y ajoute dans cette vie, dans l’autre on y mettra le comble, et jamais elle n’en sera séparée.
6. Je le dirai toutefois pour ta consolation, Marthe : ton ministère attire sur toi de divines bénédictions, ce travail te conduit à une récompense qui sera le repos. Que de soins aujourd’hui t’occupent pour donner l’hospitalité à des saints, qui n’en sont pas moins des mortels ? Mais une fois parvenue à cette heureuse patrie, y rencontreras-tu encore des étrangers à accueillir, des affamés à nourrir, des altérés à rafraîchir des malades à visiter des cœurs divisés à réconcilier, des morts à ensevelir ? Il n’y aura rien de tout cela. Et qu’y aura-t-il ? Ce dont Marie a fait choix : là en effet nous mangerons sans avoir à donner à manger. Aussi le bonheur que Marie a pris ici pour son partage, sera-t-il alors plein et parfait. Ici en effet elle ne faisait que recueillir des miettes tombées d’une table opulente, les miettes de la parole de Dieu. Mais là, qu’y aura-t-il ? Voulez-vous le savoir ? Le Seigneur lui-même nous parle ainsi de ce qu’il fera pour ses serviteurs : « En vérité je vagis le déclare, il les fera mettre à table, et passera et les servira [1]. » Qu’est-ce qu’être à table, sinon être tranquille ? Qu’est-ce qu’être à table, sinon être en repos ? Que signifie : « Il passera et les servira ? » Cela signifie qu’il passe d’abord et qu’ensuite il sert. Où sert-il ? À ce banquet céleste dont il parle en ces termes : « En vérité je vous le déclare, beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et se mettront à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux[2]. » C’est là que le Seigneur sert à table ; mais pour y arriver il faut qu’il y aille, qu’il y passe d’ici. Ne savez-vous pas que Pâque signifie passage ? Le Seigneur est venu parmi nous, il y a fait des œuvres divines et enduré des souffrances humaines. Mais le voit conspué encore, encore souffleté, encore couronné d’épines, encore flagellé, encore crucifié, percé encore d’une lance ? Il a passé. Et voici ce que dit de lui l’Évangile quand il fit la Pâque avec ses disciples. Que dit-il donc ? « L’heure étant venue pour Jésus de passer de ce monde à son Père[3]. » C’est ainsi qu’il a passé pour notas servir ; pour être servis suivons-le.


SERMON CIV. MARTHE ET MARIE OU LES DEUX VIES[4].

ANALYSE. – Marthe en ayant appelé à l’autorité de Jésus-Christ pour obtenir d’être aidée par sa sœur Marie, Jésus-Christ donne droit à Marie. Ne s’ensuit-il pas que nous devons tous abandonner les fonctions de Marthe ou l’exercice de la charité envers le prochain ? Gardons-nous-en avec soin. Si la part de Marie est préférée à celle de Marthe, c’est que Marie s’occupe de Dieu et Marthe de la créature. L’une fait ce qu’on fera éternellement au ciel, et l’autre ce qu’on ne saurait faire que sur la terre. L’une est ainsi le symbole de la vie future, et l’autre l’image de la vie présente. Servons-nous de l’une pour aller à l’autre ; et n’oublions pas que fidèles l’une et l’autre à leur vacation, Marthe et Marie sont saintes toutes deux et toutes deux attachées au Seigneur.


1. Nous avons vu, pendant la lecture du saint Évangile, une femme pieuse, nommée Marthe, recevoir le Seigneur et lui donner l’hospitalité. Comme elle était occupée des soins du service, sa sœur Marie se tenait assise aux pieds du Sauveur et entendait sa parole. L’une travaillait, l’autre demeurait en repos ; l’une donnait, l’autre recevait. Très-occupée cependant des soins et des préparatifs du service, Marthe en appela au Seigneur, et se plaignit que Marie ne l’aidât point dans son travail. Le Seigneur répondit à Marthe, mais ce fut en faveur de Marie et il devint son avocat après avoir été prié d’être son juge. « Marthe, dit-il, tu t’occupes de beaucoup de choses, quand il n’y en a qu’une de nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, et elle ne lui sera pas ôtée. » Voilà donc, après l’appel de la plaignante, la sentence du Juge. Cette sentence sert à la fois de réponse à Marthe et de défense à Marie. Marie en effet s’appliquait à goûter la douceur de la divine parole ; et pendant que Marthe cherchait à traiter le Seigneur, Marie était heureuse d’être nourrie par lui. Marthe préparait un festin au Seigneur, et Marie jouissait des délices de son

  1. Lc. 12, 37
  2. Mt. 8, 11
  3. Jn. 13, 1
  4. Luc. 10, 38-42