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parole. Docile et fidèle, elle avait entendu ces mots : « Cessez et voyez que je suis le Seigneur [1]. » Ainsi l’une des deux sœurs s’agitait, et l’autre était à table l’une préparait beaucoup et l’autre n’envisageait qu’une chose. Ces deux fonctions étaient bonnes ; mais avons-nous besoin de dire quelle était, la meilleure ? Nous avons ici, quelqu’un à interroger ; écoutons patiemment. Déjà, pendant la lecture de l’Évangile, nous avons appris quelle fonction était préférable ; je vais le redire, entendons-le de nouveau. Marthe en appelle à son hôte, elle dépose aux pieds du Juge sa pieuse requête, elle se plaint que sa sœur l’ait laissée et ne pense pas à l’aider dans ce service qui la fatigue. Marie ne répond pas, cependant elle est là, et le Seigneur prononce. On dirait que dans le repos dont elle jouit, elle aime mieux confier sa défense à son juge, et ne veut pas travailler à préparer une réponse. Ne faudrait-il pas, pour la préparer, qu’elle relâchât de son attention ? Le Seigneur n’avait pas besoin de travailler ses discours, puisqu’il était le Verbe éternel ; il répondit donc. Et que dit-il ? « Marthe, Marthe. » Cette répétition est-elle un témoignage d’affection ou seulement un moyen d’exciter l’attention ? Quoiqu’il en soit, l’attention de Marthe fut excitée plus vivement par cette répétition. « Marthe, Marthe », écoute : « tu t’appliques à des soins nombreux, mais il n’y a qu’un besoin », c’est-à-dire qu’une seule chose nécessaire. Il n’entend pas qu’il ne faille absolument qu’une action, mais qu’il n’y a qu’une seule chose utile, avantageuse, nécessaire ; c’est celle dont Marie a fait choix.
4. Songez à l’unité, mes frères, et voyez si dans la multiplicité même rien vous plait comme elle. Par la grâce de Dieu je vous vois ici en grand nombre : qui pourrait vous y souffrir si vous n’étiez unis de sentiments ? D’où vient ce calme dans une telle multitude ? Avec l’unité, c’est un peuple, et sans elle, une foule. Qu’est-ce en effet qu’une foule, sinon une multitude en désordre ? Mais écoutez l’Apôtre : « Je vous conjure, mes frères ; » il s’adressait à une multitude, mais à une multitude où il voulait rétablir l’unité ; « Je vous conjure, mes frères, de n’avoir tous qu’un même langage et de ne pas souffrir de schismes parmi vous ; mais d’être tous affermis dans le même esprit et dans les mêmes sentiments[2]. » Ailleurs encore il engage « à vivre dans l’union des cœurs, dans les mêmes pensées, à ne rien faire par esprit de contention ni par vaine gloire [3]. » Le Seigneur ne disait-il pas à son Père, en parlant des fidèles« Qu’ils soient un, comme nous sommes un nous-mêmes[4] ? et n’est-il pas écrit aux Actes des Apôtres : « Or, la multitude des croyants n’avait qu’une âme et qu’un cœur [5] ? » Ainsi donc bénissez le Seigneur avec moi et glorifions son nom pour arriver à l’unité[6] ; à cette unité nécessaire, à cette unité sublime où sont si intimement unis le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Vous voyez comme tout nous recommande l’unité. Oui, notre Dieu est Trinité ; le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père, et l’Esprit-Saint n’est ni Père ni le Fils, mais l’Esprit de l’un et de l’autre ; ces trois néanmoins ne sont ni trois Dieux ni trois tout-puissants, mais un seul Dieu tout-puissant, et la Trinité n’est qu’un Dieu. C’est l’unité nécessaire ; mais pour y arriver il faut que tous nos cœurs soient unis.
5. Il est bonde rendre service aux pauvres, surtout aux pauvres consacrés à Dieu ; c’est un devoir, ce sont des fonctions pieuses. C’est plutôt le paiement d’une dette qu’une grâce véritable, car, dit l’Apôtre : « Si nous avons semé en vous des biens spirituels, est-il étonnant que nous recueillions de vos biens temporels[7] ? » Oui, il est bon de rendre ces services, nous vous y exhortons, nous vous y engageons sur l’autorité de la parole de Dieu ; ne néglige donc pas d’accueillir les saints. N’est-il pas arrivé qu’en recevant des inconnus, on a, sans le savoir, reçu des Anges mêmes[8] ? Ces services sont bons. Mieux vaut cependant le choix fait par Marie. Ces devoirs de charité entraînent à des occupations nécessaires : la contemplation de Marie produit des douceurs pleines de charité. En servant l’un, on voudrait aller au-devant de l’autre, et parfois on ne le peut ; on cherche ce qu’on n’a pas, on prépare ce qu’on a, l’esprit est partagé. Si Marthe suffisait à tout, elle ne réclamerait pas l’aide de sa sœur. Ces actes sont donc multiples et différents, précisément parce qu’ils sont corporels et temporels ; ils sont bons mais ils passent. Que dit au contraire le Seigneur à Marthe ? « Marie a choisi la meilleure part. » La tienne n’est pas mauvaise, mais la sienne est meilleure. Pourquoi meilleure ? Parce qu’ « elle ne lui sera point ôtée. » On t’ôtera un jour ce fardeau imposé par les besoins d’autrui : les délices de la vérité

  1. Ps. 45, 11
  2. 1 Cor. 1, 10
  3. Phil. 2, 2-3
  4. Jn. 17, 22
  5. Act. 4, 32
  6. Ps. 33, 4
  7. 1 Cor. 9, 11
  8. Héb. 13, 2