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Vous ne voyez pas maintenant la grandeur du bien que vous faites. Le paysan, quand il sème, ne voit pas non plus la moisson. Il la confie à la terre et toi, tu ne te confierais pas à Dieu ? Pour nous aussi viendra la récolte. Songe que s’il nous en coûte aujourd’hui d’agir, s’il nous en coûte de faire le bien, notre récompense est assurée, car il est écrit : « Ils s’en allaient et pleuraient en répandant leurs semences ; mais ils reviendront avec joie, portant leurs gerbes dans leurs mains [1]. »


SERMON CIII. MARTHE ET MARIE OU L’UNIQUE NÉCESSAIRE[2].

ANALYSE. – Marthe avait le bonheur de nourrir le Fils de Dieu ; Marie avait un bonheur plus grand, celui d’être nourrie par lai et de demeurer attachée à cette unité divine au sein de laquelle nous devons demeurer éternellement. Si donc il est bon d’exercer la charité avec Marthe, il est meilleur encore d’écouter Jésus-Christ avec Marie ; mais n’oublions pas que les bonnes œuvres de Marthe conduisent au bonheur éternel figuré par celui de sa sœur.
1. Les paroles de Jésus-Christ Notre-Seigneur qu’on vient de nous lire dans l’Évangile, nous rappellent qu’il y a une mystérieuse unité vers laquelle nous devons tendre, pendant que nous nous fatiguons au sein de la multiplicité que présente ce siècle. Or nous y tendons en marchant et avant, de nous reposer, pendant que nous sommes sur la voie, et pas encore dans la patrie, à l’époque des désirs et non au jour des jouissances. Tendons-y toutefois, mais tendons-y sans lâcheté et sans interruption, de manière à pouvoir y arriver enfin.
2. Marthe et Marie étaient deux sœurs ; aussi unies par la religion qu’elles l’étaient par le sang, toutes deux s’attachèrent au Seigneur et elles s’accordèrent toutes deux à le servir pendant qu’il était ici dans sa vie mortelle. Marthe le reçut comme on reçoit un hôte, et pourtant c’était une servante qui recevait son Maître, une malade qui accueillait son Sauveur, une créature qui traitait son Créateur ; elle le recevait pour nourrir son corps, mais aussi pour être nourrie elle-même dans son âme. Quand en effet le Seigneur daigna prendre une nature d’esclave et laisser nourrir cette nature par ses serviteurs, c’était par condescendance et non par nécessité ; oui c’était condescendance de permettre qu’on le traitât. Sans doute il avait une chair sujette à la faim et à la soif ; mais ignorez-vous que quand il eut faim au désert les anges vinrent le servir[3] ? En acceptant ce qu’on lui donnait, il faisait donc une grâce. Pourquoi s’en étonner, puisque pour donner à une veuve, il se servit du saint prophète Élie ? Il nourrissait d’abord ce prophète par le ministère d’un corbeau [4]. Ne pouvait-il plus employer ce moyen quand il l’envoya vers la veuve ? Assurément, il pouvait l’employer encore lorsqu’il l’envoya vers elle ; mais il voulait que le service rendu à son serviteur fût pour cette pieuse veuve une source de bénédictions. Ainsi en était-il du Sauveur lorsqu’il recevait l’hospitalité. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu ; mais à tous ceux qui l’on reçut il a donné le pouvoir de devenir les enfants de Dieu[5] ; les adoptant dans leur esclavage pour en faire ses frères ; les rachetant de leur captivité, pour en faire ses cohéritiers. Que nul toutefois ne vienne à dire parmi vous : Heureux ceux qui ont mérité d’accueillir le Christ dans leur propre demeure ! Ne te plains pas, ne murmure pas d’être né au temps où on ne voit plus le Sauveur dans son corps car il n’a pas laissé d’être condescendant pour toi. « Ce que vous avez fait à l’un de ces derniers d’entre mes frères, dit-il, c’est à moi que vous l’avez fait[6]. »
3. Assez sur la nourriture corporelle à donner au Seigneur. Disons quelques mots seulement, le temps n’en permet pas davantage, de la nourriture que lui-même donne à l’âme ; abordons le sujet que j’ai annoncé, l’unité. Pour préparer un repas au Sauveur, Marthe s’occupait de soins nombreux ; Marie sa sœur aima mieux être nourrie par lui ; elle laissa donc Marthe aux occupations multipliées du service, et pour elle, elle s’assit aux pieds du Seigneur et écoutait tranquillement sa

  1. Psa. 125, 6
  2. Lc. 10, 38-42
  3. Mt. 4, 11
  4. 1 R. 17, 6
  5. Mt. 25, 40
  6. Mt. 25, 40