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j’accomplis l’Évangile, puisque je marche pieds nus. – Tu le peux, moi je ne le puis. Mais soyons fidèles à l’obligation qui nous est commune. – Laquelle ? – D’avoir une ardente charité, de nous aimer réciproquement. Par là en effet j’aimerai de te voir fort, et tu supporteras ma faiblesse.
8. Toi qui ne veux pas examiner le sens de ces paroles et qui arrives à l’effroyable nécessité d’accuser le Sauveur de contradiction, à propos de bourse et de chaussures, que prétends-tu ? Veux-tu que si nous rencontrons en voyageant des personnes qui nous sont chères, inférieures ou supérieures, nous ne leur fassions ni même nous ne leur rendions de salut ? Est-ce être fidèle à l’Évangile, que de ne répondre même pas au salut reçu ? N’est-ce pas ressembler plutôt à la borne qui montre le chemin, qu’au voyageur qui le parcourt ? Allons, quittons cette stupidité, saisissons le sens des paroles du Seigneur et ne saluons personne sur notre route. Est-ce en effet sans dessein que cette défense nous est faite, et le Sauveur nous interdit-il d’exécuter ses ordres ? On pourrait sans doute entendre simplement ces expressions de l’obligation d’accomplir promptement ce qui nous est commandé. « Ne saluez personne sur le chemin », signifierait alors : Laissez tout pour faire ce que je vous dis. C’est une locution assez ordinaire et connue dans le discours sous le nom d’exagération. N’allons pas loin pour en rencontrer des exemples. Un peu après les paroles que nous étudions, le Seigneur disait dans le même discours : « Et toi, Capharnaüm, élevée jusqu’au ciel, tu seras plongée jusqu’au fond de l’enfer [1]. » Pourquoi élevée jusqu’au ciel ? Est-ce que les murailles de cette ville touchaient les nues et atteignaient les astres ? Que signifie donc élevée jusqu’au ciel ? Tu te crois trop heureuse, trop puissante, tu es trop superbe. Or, de même que pour mieux peindre cet orgueil on représente comme élevée jusqu’au ciel cette ville qui ne s’élevait ni ne montait jusques-là ; ainsi pour exprimer avec plus de force la promptitude que doivent mettre les disciples à exécuter les ordres reçus par eux, il leur est dit : Courez, accomplissez mes prescriptions si vite, que rien ne puisse vous retarder tant soit peu dans votre route ; laissez tout pour arriver plus tôt au but proposé.
9. Toutefois il y a ici un sens figuré que je préfère méditer ; il s’applique mieux, soit à moi, soit à tous les dispensateurs de la sainte parole, soit à vous qui l’écoutez. Saluer, c’est souhaiter le salut ; aussi les anciens mettaient-ils dans leurs lettres : Un tel à un tel, salut. Saluer vient du mot salut. Que signifie alors : « Ne saluez personne en chemin ! » Saluer en chemin, c’est saluer par occasion. Je vois que déjà vous m’avez compris ; néanmoins e ne dois pas finir immédiatement, car si vos acclamations me disent que vous saisissiez, j’en vois plusieurs dont le silence m’interroge. Et puisque nous parlons de chemin, imitons les voyageurs ; vous qui êtes en avant, attendez ceux qui sont en retard, et marchez tous ensemble. Qu’ai-je dit ? Que saluer en chemin, c’est saluer par occasion. On n’allait pas vers quelqu’un, et on le salue. On faisait une chose, il s’en rencontre une autre ; on poursuivait un dessein, et accidentellement on a trouvé quelqu’autre chose à faire. Ainsi, qu’est-ce que saluer par occasion ? C’est par occasion annoncer le salut. Mais annoncer le salut n’est-ce pas annoncer l’Évangile ? Ah ! si tu l’annonces, fais-le donc par, choix et non par occasion. Il y a en effet des hommes qui ne cherchent absolument que leurs intérêts et qui prêchent l’Évangile. Tels étaient ceux dont l’Apôtre disait en gémissant : « Ils cherchent tous leurs intérêts, et non pas ceux de « Jésus-Christ [2]. » Ils saluaient, ils annonçaient le salut, ils prêchaient l’Évangile, mais en vue de toute autre chose. Aussi saluaient-ils par occasion. Mais à quoi cela mène-t-il ? Ah ! si tu te reconnais à ce trait, si tu agis ainsi ; mais quiconque agit, n’agit pas de la sorte, et pourtant il peut se rencontrer quelqu’un qui le fasse ; si donc tu te reconnais à ce trait, tu ne fais rien, tu sers seulement à faire quelque chose.
10. L’Apôtre, en effet, admit avec lui de semblables ouvriers ; et pourtant il ne les formait pas ainsi. Ils font bien quelque chose, ou plutôt ils y contribuent puisqu’ils annoncent la parole sainte en vue de tout autre motif. Mais ne te soucies point de l’intention du prédicateur ; attache-toi à ce qu’il proclame, ne t’inquiète point de ce qu’il cherche. Reçois et retiens le salut de sa bouche ; ne sonde pas son cœur. Si tu vois qu’il a d’autres desseins, que t’importe ? Reçois le salut « Faites ce qu’ils disent. » Ces paroles : « Faites ce qu’ils disent », te doivent tranquilliser. Font-ils mal ? « Gardez-vous de faire ce qu’ils font[3]. »

  1. Luc. 10, 15
  2. Phi. 2, 21
  3. Mat. 23, 8