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ce que tu n’as point fait. Tel m’est obligé parce que, sous tes yeux, je lui ai pardonné ce qu’il a fait ; tu me l’es, toi, de ce que tu n’as pas fait. Car il n’est aucun péché commis par un homme, que ne puisse commettre un autre homme, s’il n’est assisté par l’Auteur même de l’homme.
7. Ainsi nous avons résolu en bien peu de temps cette profonde question, et si nous ne l’avons pas résolue, regardez-nous, je le répète, comme votre débiteur : occupons-nous donc au plus tôt et en peu de mots, de la rémission des péchés. Le Christ était regardé comme un homme, et par celui qui l’avait invité et par ceux qui étaient à table avec lui ; mais la pécheresse ne voyait-elle pas en lui quelque chose de plus ? Quel était en effet le motif de sa conduite, sinon d’obtenir la rémission de ses péchés ? Elle savait donc que le Seigneur pouvait les lui remettre, et eux savaient qu’un homme en était incapable. Il faut même admettre que tous, les convives et la femme qui se tenait aux pieds du Sauveur, croyaient qu’il est impossible à un homme quelconque de pardonner les péchés. Or tous sachant cela, la pécheresse voyait dans Jésus plus qu’un homme, puisqu’elle espérait de lui la rémission de ses fautes. Quant aux autres, Jésus ayant dit à cette femme : « Tes péchés te sont remis », ils s’écrièrent aussitôt. « Quel est celui-ci, qui remet les péchés même ? » Quel est celui-ci, que connaît déjà la pécheresse ? Si tu es à table, toi, comme jouissant de la santé et si tu méconnais le médecin, n’est-ce point parce qu’une fièvre plus violente t’a troublé l’esprit ? Ne pleure-t-on pas souvent un phénétique riant aux éclats ? Vous avez pourtant raison de croire, d’être intimement convaincus qu’un homme ne saurait effacer les iniquités. D’où il suit qu’en attendant du Christ le pardon des siennes, cette femme voit en lui plus qu’un homme, elle reconnaît qu’il est Dieu. « Quel est celui-ci, disent-ils, qui remet les péchés même ? » A cette question : « Quel est celui-ci ? » Jésus ne répond pas : c’est le Fils de Dieu c’est le Verbe de Dieu ; mais les laissant quelque temps avec les idées qu’ils se faisaient de lui, il résout le problème qui excitait leurs alarmes ; car s’il voyait leurs personnes, il entendait leurs pensées. Se tournant vers la pécheresse, il lui dit donc : « Ta foi t’a sauvée. » – « Quel est celui-ci, qui remet les péchés même ? » Que ceux qui me regardent comme un homme continuent à me considérer comme un homme : « Toi, c’est ta foi qui t’a sauvée. »
8. Médecin généreux, il ne se contentait pas de guérir les malades qui étaient là, il avait aussi en vue les malades qui viendraient ensuite. Il devait venir effectivement des hommes qui diraient : C’est moi qui remets les péchés, c’est moi qui justifie, moi qui sanctifie, moi qui guéris tous ceux que je baptise. De ce nombre sont aussi ceux qui répètent : « Garde-toi de me toucher ; » et ils sont si bien de ce nombre que dernièrement, comme vous pouvez vous en assurer par la lecture des Actes, le Commissaire leur ayant offert de s’asseoir avec nous pendant notre conférence [1], ils crurent devoir répondre que d’après l’Écriture ils ne pouvaient s’asseoir avec des hommes tels que nous. Ils craignaient sans doute que la contagion prétendue de notre iniquité ne se communiquât à eux parle contact même de nos sièges. N’était-ce pas dire : « Garde-toi de me toucher, car je suis pur ? »
L’occasion favorable s’étant présentée un autre jour, nous leur rappelâmes combien il était vain et misérable, quand il s’agissait de l’Église, de s’imaginer que dans son sein le contact des méchants souille les bons. Nous leur demandâmes si c’était bien pour ce motif qu’ils refusaient de siéger au milieu de nous. Ils répondirent que l’Écriture inspirée leur faisait réellement cette défense, puisqu’il y est dit : « Ne t’asseois pas dans une assemblée de vanité. » Nous répliquâmes : Si le motif pour lequel vous refusez de prendre place au milieu de nous vient de ce qu’il est écrit : « Ne t’assoies pas dans une assemblée de vanité ; » pourquoi donc, êtes-vous entrés avec nous, puisqu’il est aussi écrit, immédiatement après : « Et je n’entrerai pas avec ceux qui commettent l’iniquité[2] ? » Aussi quand ils répètent : « Garde-toi de me toucher, car je suis pur », ils ressemblent à ce Pharisien qui avait invité le Seigneur et qui s’imaginait qu’il ne connaissait pas la pécheresse, puisqu’il ne l’empêchait pas de lui toucher les pieds. Et encore le Pharisien valait-il mieux qu’eux, parce que regardant le, Christ comme un homme, il ne croyait pas qu’il pût comme homme remettre les péchés. Oui, les Juifs montraient plus d’intelligence que n’en montrent les hérétiques. Que disaient en effet les Juifs ? « Quel est celui-ci, qui remet les péchés même ? » Un homme ose-t-il bien s’arroger ce pouvoir ?

  1. La conférence de Carthage. Voir lettre 164, etc
  2. Psa. 25, 4