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aura pas, s’il prendra une épouse ou n’en prendra pas ; tout ce qui peut lui arriver de bien est également douteux. Ainsi en est-il aussi de ce qu’il peut avoir à souffrir : sera-t-il ou ne sera-t-il pas malade ? sera-t-il ou ne sera-t-il pas soit blessé par un serpent, soit dévoré par quelque animal féroce ? Considère également les autres accidents qui peuvent le frapper ; de chacun d’eux tu pourras dire : Peut-être oui, peut-être non. Mais pourrais-tu dire de la même manière que peut-être il mourra et que peut-être il ne mourra pas ? Quand les médecins ont visité un malade et que sa maladie leur semble mortelle : Il en mourra, disent-ils, il n’en échappera point. De même on doit dire, dès la naissance d’un homme, qu’il n’en échappera pas non plus. Ainsi la maladie date de la naissance et ne se termine qu’à la mort. Encore ignore-t-on si on ne doit pas contracter alors une maladie plus affreuse. Ce mauvais riche vient, d’être délivré d’un mal où il trouvait ses délices, mais c’est pour tomber dans un autre mal où il ne rencontrera que des supplices ; tandis que ce pauvre n’a fait qu’échanger la maladie pour la santé[1]. Mais aussi avait-il fait son choix dès cette vie et semé ici ce qu’il devait moissonner dans cet autre monde. Quel motif pour nous engager de veiller durant toute notre vie et de choisir ce que nous pourrons garder éternellement !
4. Mais n’aimons pas le monde. Le monde écrase ceux qu’il aime, il ne les rend pas heureux. Travaillons plutôt à éviter ses pièges qu’à craindre sa chute. Qu’il tombe d’ailleurs, le Chrétien n’en demeure pas moins debout, car le Christ ne tombe pas. Pourquoi effectivement le Seigneur dit-il : « Réjouissez-vous car j’ai vaincu le monde ?[2] » Nous pourrions lui répondre, n’est-ce pas : C’est à vous, Seigneur, de vous réjouir ; réjouissez-vous, puisque vous avez vaincu. – Quel motif en effet avons-nous de nous réjouir, et pourquoi nous dit-il : « Réjouissez-vous », sinon parce que c’est pour nous qu’il a vaincu, après avoir combattu pour nous ? Et quand a-t-il combattu ? Quand il s’est fait homme. Suppose qu’il n’est pas né d’une vierge, qu’il ne s’est pas anéanti lui-même en prenant une nature d’esclave, en devenant semblable aux hommes et en se montrant homme par tout son extérieur [3] ; comment aurait-il lutté ? comment aurait-il combattu ? comment aurait-il pu être tenté et remporter une victoire sans avoir soutenu de bataille ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Dès le commencement il était en Dieu. Tout a été fait par lui et sans lui rien ne l’a été. » Or ce Verbe de Dieu aurait – il pu être crucifié par les Juifs, être insulté par les impies, être déchiré de soufflets et couronné d’épines ? C’est donc pour souffrir ces indignités qu’il s’est fait chair[4], et pour vaincre il est ressuscité après les avoir endurées. Mais en nous assurant la grâce de ressusciter nous-mêmes, sa victoire devient la nôtre. Dis donc, dis encore à Dieu : « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que l’homme m’a. foulé aux pieds. » Ne te foule pas aux pieds toi-même, et aucun homme ne l’emportera sur toi. Suppose en effet qu’un homme puissant te menace. De quoi te menace-t-il ? Je vais te dépouiller, te condamner, te torturer, te mettre à mort, dit-il. Et toi de crier : « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que l’homme me foule aux pieds. » Si tu dis vrai, c’est de toi que tu parles ; et ce mort ne te foule, que parce que tu crains ses menaces ; et comme tu ne les craindrais point si tu n’étais homme, c’est dans ce sens que l’homme te foule aux pieds. Mais quel remède ? O homme, c’est de t’attacher à Dieu qui t’a fait homme ; c’est de t’unir fortement à lui ; de te confier en lui, de l’invoquer pour qu’il soit ta force. Dis-lui : En vous, Seigneur, est, ma force ; et tu te riras des menaces des hommes, et tu chanteras, comme il t’y invite lui-même : « J’ai mis en Dieu mon espoir ; je ne crains rien de ce que peut l’homme contre moi[5]. »

  1. Luc. 16, 22
  2. Jn. 16, 33
  3. Phi. 2, 7
  4. Jn. 1, 1-3, 14
  5. Psa. 55, 2,11