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aux persécuteurs ; prouvons aussi que les persécutés portent le même nom. Mais quoi ? As-tu fermé l’oreille à cette parole du Christ, ou plutôt à ce témoignage de l’Écriture : « Dieu était dans le Christ, occupé à se réconcilier le monde [1] ? » – « Si le monde vous hait, dit le Sauveur, sachez qu’il m’a haï d’abord[2] ? » Ainsi le monde hait. Qui hait-il, sinon le monde ? Et quel monde ? « Dieu était dans le Christ, occupé à se réconcilier le monde. » Le monde condamné est donc le monde persécuteur, et le monde persécuté est le monde réconcilié avec Dieu. Le monde condamné comprend tout ce qui est en dehors de l’Église même. « Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour juger le monde, mais pour l’aider à se sauver[3]. »
9. Or, c’est au milieu de ce monde saint, bon, réconcilié, sauvé ou plutôt qui doit l’être, car il ne l’est maintenant qu’en espérance selon ce mot de l’Apôtre : « C’est en espérance que nous sommes sauvés[4] ;» c’est, dis-je, au milieu de ce monde ou au milieu de l’Église qui tout entière marche sur les traces du Christ, que le Sauveur a dit en termes généraux : « Que celui « qui veut me suivre se renonce lui-même. » On ne peut dire en effet que cette obligation soit imposée seulement aux vierges et non aux femmes ; aux veuves et non aux épouses ; aux religieux et non aux hommes mariés ; aux ecclésiastiques et non aux laïques : l’Église entière, le corps entier du Christ et chacun de ses membres, quelles que soient ses fonctions et la place qu’il occupe, doivent suivre le Christ. Qu’elle le suive donc tout entière, cette Église unique, cette colombe, cette épouse rachetée et enrichie par le sang de son Époux. Ici trouvent place et l’intégrité des vierges, et la continence des veuves, et la pudeur des époux ; mais non pas l’adultère ni la débauche criminelle et condamnable. O membres qu’appelle ici le Christ en vous laissant et votre nature et le lieu que vous occupez et vos fonctions spéciales, suivez le Christ ; renoncez-vous, c’est-à-dire ne comptez pas sur vous-mêmes ; chargez votre croix, c’est-à-dire souffrez, pour le Christ, dans ce monde, tout ce que vous fera endurer le monde ; aimez-le, car seul il ne trompe pas, aussi incapable de vous tromper que de se tromper lui-même, aimez-le, car ses promesses sont pleines de vérité. Néanmoins, comme il ne les accomplit pas actuellement, ta foi chancelle. Ah ! tiens ferme, persévère, prends courage, supporte ces délais et ce sera porter ta croix.
10. Que la vierge ne dise pas : Je serai seule à remplir ce devoir. Si la vierge Marie le remplit, Anne la veuve ne le remplit-elle pas aussi ? Que la femme mariée ne dise pas non plus Cette invitation sera pour la veuve, il n’y a rien ' pour moi. Si Anne est fidèle, Susanne ne l’est-elle pas également ? Voici comment doivent s’éprouver ceux qui aspirent à la récompense : ceux qui occupent ici un rang inférieur ne doivent pas jalouser, mais aimer dans les autres une condition plus sainte. Par exemple, mes frères, et remarquez bien ceci : l’un a fait choix de la vie conjugale et l’autre de la continence absolue. Si le premier convoite l’adultère, il regarde en arrière, puisqu’il convoite le crime. Celui qui après avoir embrassé la continence songe ensuite au mariage, regarde également en arrière, quoique l’objet de son désir n’ait rien que de légitime en soi. Il faut donc condamner les noces ? Garde-toi de les condamner ; mais considère jusqu’où s’était avancé celui qui maintenant prend ce parti. Il était bien au-delà. Quand jeune encore il vivait dans la débauche, le mariage était pour lui un état meilleur, il n’avait qu’à y tendre ; aujourd’hui, qu’il a embrassé la continence, c’est une condition au-dessous de la sienne. – « Souvenez-vous de la femme de Lot », dit le Seigneur[5]. Cette femme en regardant derrière perdit tout mouvement[6]. Ainsi donc une fois parvenu à un degré de sainteté ; chacun doit craindre de regarder derrière. Qu’on suive son chemin, qu’on s’attache au Christ, qu’oubliant ce qui est en arrière ou s’avance vers ce qui est devant, avec l’intention sincère de parvenir à la palme de la vocation que Dieu accorde par le Christ Jésus[7]. Que les époux préfèrent ceux qui vivent dans la continence, qu’ils avouent la supériorité de leur état, qu’ils aiment dans leur personne ce qui n’est pas en eux-mêmes, et que surtout ils y aiment Jésus-Christ.

  1. 2Co. 5, 19
  2. Jn. 15, 18
  3. Id. 3, 17
  4. Rom. 8, 24
  5. Luc. 17, 32
  6. Gen. 19, 26
  7. Phi. 3, 13-14