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aussitôt : « aimant l’argent [1]. » Ici ne vois-tu pas que tu es hors de toi ? Tu t’es mis à t’aimer demeure en toi, si tu le peux. Que vas-tu chercher dehors ? O ami de l’argent, est-ce que l’argent t’a rendu vraiment riche ? Oui, tu t’es mis à aimer ce qui est hors de toi ; mais alors tu t’es perdu. En effet l’amour d’un homme allant ainsi hors de lui vers les choses extérieures, bientôt ce malheureux devient aussi vain qu’elles, et épuise toutes ses forces avec une folle prodigalité. Ainsi énervé, répandu au-dehors, dénué de tout, il paît des pourceaux ; et fatigué de ce travail ignoble, il finit par rappeler ses souvenirs et par s’écrier : « Combien de mercenaires mangent du pain chez mon père, et moi je meurs ici de faim ! » Mais quand il tient ce langage, quand s’exprime ainsi cet enfant prodigue qui a tout dissipé avec des prostituées, et qui est tombé dans là misère, après avoir voulu disposer librement de ce – que son père lui conservait avec tant de sagesse, qu’est-ce que l’Écriture dit de lui ? « Or étant rentré en lui-même. » Or s’il est rentré en lui-même, c’est qu’il en était sorti. Et si après s’être détaché et être sorti de lui-même, il y rentre d’abord, c’est pour retourner à Celui dont il s’était éloigné volontairement. De même en effet qu’en sortant de lui-même il y était malheureusement resté ; ainsi pour n’en plus sortir il n’y doit plus rester quand il y rentre. Que dit-il donc alors ? Que dit-il quand il rentre en lui-même pour n’y pas demeurer ? « Je me lèverai et j’irai vers mon Père[2]. » Voilà d’où il s’était échappé en sortant de lui-même ; c’est de son propre père qu’il s’était séparé, s’éloignant en même temps de lui-même pour se jeter aux choses du dehors. Afin donc de se conserver avec toute sécurité, il rentre en lui-même et poursuit sa course vers son père. Mais puisque l’amour de soi l’a porté à s’abandonner en quittant son père, ne faut-il pas qu’en rentrant en soi pour aller à son père, il se renonce ? Qu’est-ce à dire, qu’il se renonce ? Qu’il n’ait point de confiance en soi, qu’il sente qu’il n’est qu’un homme et ne perde pas de vue cette parole d’un prophète : « Maudit soit quiconque met son espoir dans un homme ![3] » Qu’il se retire donc de lui-même, mais aussi qu’il n’aille, pas au-dessous. Qu’il se retire de lui-même, mais pour s’attacher à Dieu. Qu’il attribue à son auteur tout ce qu’i 50 a de bon ; car tout ce, qu’il a de mal, chacun se l’est fait à lui-même, et ce n’est pas Dieu. Qu’il détruise donc son propre ouvrage, puisque delà vient son malheur. « Qu’il se renonce, dit le Sauveur, prenne sa croix et me suive. »
3. Et où suivre le Seigneur ? Nous savons où il est allé ; il y a bien peu de jours que nous célébrions la solennité de son départ. Il est ressuscité et il est monté au ciel ; c’est au ciel que nous devons le suivre. Pourquoi désespérer d’y parvenir ? L’homme ne peut rien sans doute, mais le Sauveur nous a fait cette promesse. Pourquoi désespérer ? Ne sommes-nous pas les membres de ce Chef divin ? Au ciel donc il nous faut le suivre. Qui d’ailleurs refuserait de l’accompagner dans ce séjour ? La terre, hélas n’est-elle point travaillée de trop de craintes et de trop de douleurs ? Qui donc refuserait de suivre le Christ dans ce lieu où règnent une souveraine félicité, une paix suprême et une perpétuelle tranquillité ? Ah ! il nous est bon de l’y suivre ; mais par quel chemin ? Quand le Seigneur parlait ainsi, il n’était point encore ressuscité d’entre les morts ; il n’avait pas encore souffert. Il devait endurer le mépris, l’outrage, les fouets, les épines, les blessures, les insultes, l’opprobre et la mort. Cette voie te semble rude ; aussi tu es indolent et tu ne veux pas y marcher ; entres-y. Car, les aspérités sont l’ouvrage de l’homme ; mais le Christ les a effacées en retournant au ciel. Eh ? qui ne voudrait être élevé en gloire ? Tous aiment la grandeur. Mais l’humilité est un degré pour y monter. Pourquoi élever le pied au-dessus de toi-même ? Ce n’est pas chercher à monter, c’est vouloir tomber. Place-le d’abord sur un degré : tu monteras ainsi. Par ce degré d’humilité ne voulaient point passer ces deux disciples qui disaient : « Ordonnez, Seigneur, que dans votre royaume l’un de nous siège à votre droite et l’autre à votre gauche. » ils ambitionnaient la grandeur, mais ils ne voyaient pas l’échelle qui y conduit. Le Seigneur la leur montra. « Pouvez-vous, dit-il, boire le calice que je boirai moi-même [4] ? » Vous qui aspirez au faîte de la grandeur, pouvez-vous boire la coupe de l’humilité ? Aussi ne dit-il pas seulement : « Qu’il se renonce lui-même et me suive ; » il ajoute : « qu’il prenne sa croix et me suive. »
4. Que signifie : « Qu’il prenne sa croix ? » Qu’il supporte tout ce qui est pénible et me suive de cette sorte. En effet, lorsqu’il aura

  1. 2Ti. 3, 2
  2. Luc. 15, 12-18
  3. Jer. 17, 5
  4. Mrc. 10, 37-38