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des sept corbeilles. Du reste les morceaux dont elles étaient pleines ne furent pas perdus ne vous profitent-ils pas, à vous qui faites sûrement partie de l’Église ? Ne suis-je pas le ministre soumis au Christ, lorsque je vous explique ces mystères, et n’êtes-vous pas comme assis au festin, lorsque vous m’écoutez en paix ? Il est vrai, je suis assis moi-même, j’ai le cœur en repos ; mais je suis en mouvement pour vous servir ; je crains, non pas, que la nourriture ; mais que le vase où elle est offerte ne rebute quelqu’un d’entre vous. Vous connaissez d’ailleurs les divins aliments, on vous en a souvent parlé ; ils sont destinés au cœur et non au corps.
3. Il est bien vrai que sept pains rassasièrent quatre mille hommes. Est-il rien de plus merveilleux ? Il y a plus encore, c’est que les morceaux qui restèrent suffirent à remplir sept corbeilles. O profonds mystères ! Voilà des œuvres sans doute ; mais des œuvres qui parlent ; oui, ces actes bien compris sont des paroles. Vous aussi vous êtes du nombre des quatre mille hommes, puisque vous vivez sous l’autorité des quatre Évangiles. Ce nombre de quatre mille ne comprenait ni les femmes ni les enfants, car il est dit en propres termes ; « Ceux qui mangèrent étaient au nombre de quatre mille hommes, sans compter les enfants et les femmes [1]. » Est-ce que les insensés et les efféminés peuvent faire nombre ? Qu’ils mangent néanmoins ; car ces enfants pourront grandir et n’être plus enfants ; ces efféminés se corriger et devenir chastes. Qu’ils mangent ; nous voici occupés à donner et à distribuer. Mais quels sont-ils ? L’œil de Dieu fixe ses convives, et s’ils ne se corrigent point, celui qui a su adresser l’invitation, saura faire aussi là séparation.
4. Vous le savez, mes biens-aimés, rappelez-vous d’ailleurs cette parabole évangélique : Le Seigneur entra un jour pour examiner les convives qui prenaient part à son banquet. Père de famille, il y avait invité lui-même ; mais comme il est écrit, « il y rencontra un homme qui ne portait point la robe nuptiale[2]. » Remarquez bien, on avait été invité aux noces par cet Époux qui l’emporte en beauté sur les enfants des hommes, mais qui aussi s’est fait difforme en faveur de son épouse pour la rendre belle, de difforme qu’elle était. Comment puis-je dire qu’il s’est rendu difforme ? C’est nu blasphème, si je ne prouve pas cette assertion. Voici un prophète qui rend témoignage de sa beauté : « Il l’emporte en beauté, dit-il, sur les enfants des hommes[3]. » En voici un autre qui témoigne de sa difformité : « Nous l’avons vu, dit-il, et il n’avait ni beauté ni dignité ; son visage était sans majesté et son attitude difforme[4]. » O prophète qui as dit : « Il l’emporte en « beauté sur les enfants des hommes », voici un contradicteur, voici un autre prophète qui s’avance contre toi et qui dit : Tu ment, car « nous l’avons vu. » Pourquoi assurer qu’« il l’emporte en beauté sur les enfants des hommes ? Nous l’avons vu, et il n’avait ni beauté ni dignité. » Ainsi donc ces deux prophètes ne s’entendent pas à propos de Celui qui s’est fait l’ange de la paix et de l’union ? Tous deux parlent du Christ, ils parlent tous deux de la pierre angulaire. Or les murs se joignent à l’angle, sans quoi il n’y a plus d’édifice, mais une ruine. Les prophètes aussi sont unis ; ne les laissons pas disputer ; ou plutôt constatons comme ils sont en paix, car ils ne savent point se diviser. Toi donc, ô prophète qui as dit : « Il l’emporte en beauté sur les enfants des hommes », quand l’as-tu vu ? Réponds, réponds, où l’as-tu vu : « Lors qu’étant de la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu ;» c’est alors que je l’ai vu ; et douterais-tu qu’étant égal à Dieu il l’emportât en beauté sur les enfants des hommes ? Tu as répondu. Réponde maintenant le prophète qui a dit : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni beauté ni dignité. » Voilà une affirmation ; mais où l’as-tu vu ? Celui-ci commence par où le premier a fini. Où le premier a-t-il fini ? A ces mots : « Étant de la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu ; » c’est là qu’il l’a vu plus beau que les enfants des hommes. Toi maintenant, dis-nous où tu l’as vu sans beauté et sans dignité ? « Il s’est anéanti lui-même en prenant une nature d’esclave ; il s’est fait semblable aux hommes et à l’extérieur il a paru comme un homme. » Quant à sa difformité, elle est dans les mots qui suivent : « Il s’est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix[5]. Voilà où je l’ai vu. — Ainsi donc ces deux prophètes s’entendent parfaitement, il n’est absolument rien pour les diviser. Qu’y a-t-il en effet de plus beau que Dieu et de plus difforme qu’un crucifié ?
5. Eh bien ! cet Époux qui l’emporte en beauté

  1. Mat. 15, 38
  2. Id. 22, 11
  3. Psa. 44, 3
  4. Isa. 53, 2
  5. Phi. 2, 6-8