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quant au nom elles sont rares en réalité et qu’on pourrait à peine en compter dix ? Ce serait se tromper, puisqu’en ne considérant que les bonnes sous ce nombre de dix, on ne saurait où placer les cinq folles. De plus, s’il est dans le monde tant d’âmes qu’on appelle vierges, comment se fait-il que les portes de la grande maison ne soient fermées qu’à cinq ?
2. Comprenons donc, mes bien-aimés, que cette parabole concerne absolument toute l’Église ; elle ne regarde pas uniquement les supérieurs dont nous parlions hier, ni les simples fidèles uniquement, mais les uns et les autres, tous absolument. Et pourquoi cinq vierges d’un côté et cinq vierges de l’autre ? Ces cinq vierges d’une part et d’autre part ces cinq autres représentent tous les chrétiens sans exception. Voulez-vous toutefois que nous vous exprimions un sentiment que Dieu nous inspire ? Outre les âmes vulgaires, il y a dans l’Église de Dieu des âmes qui ont la foi catholique et qu’on voit s’exercer aux bonnes œuvres : parmi elles cependant il y en a de sages et il y en a d’insensées. Mais considérons avant tout pourquoi ces âmes sont appelées vierges et pourquoi ces vierges sont divisées en deux groupes de cinq chacun ; nous étudierons ensuite les autres circonstances. Ce qui fait que toute âme unie à un corps est figurée par le nombre cinq, c’est qu’elle a cinq sens à son service, car toutes les impressions sensibles entrent en nous par quelqu’une de ces cinq portes, la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût ou le toucher. D’où il suit que s’abstenir de tout ce qui est illicite pour la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher, c’est rester pur et conséquemment mériter le titre de vierge.
3. Je le veux, il est bon de s’abstenir de toute sensation coupable et c’est avec raison que chaque âme chrétienne porte le nom de vierge. Mais pourquoi en admettre cinq et en repousser cinq ? – Eh bien ! elles sont vierges, et on les repousse ; c’est peu qu’elles soient vierges, elles ont même des lampes. En se préservant des sensations mauvaises elles méritent le nom de vierges, et ce sont leurs bonnes œuvres qui leur mettent la lampe à la main ; car c’est de ces œuvres que parle le Seigneur en ces termes « Que vos bonnes œuvres luisent devant les hommes, en sorte qu’ils voient vos bonnes actions et glorifient votre Père qui est dans les cieux [1]. » C’est d’elles encore qu’il dit à ses disciples« Ceignez-vous les reins et que vos lampes soient allumées [2]. » Se ceindre les reins, c’est pratiquer la virginité ; avoir des lampes allumées, c’est s’exercer aux bonnes œuvres.
4. Il est vrai on n’emploie pas le terme de virginité quand il est question des personnes mariées ; elles ont toutefois la virginité de la : foi qui produit la chasteté conjugale. Pour vous convaincre effectivement que considéré du côté de son âme, et par rapport à l’intégrité de la foi qui préserve aussi du mal et fait faire le bien, chaque chrétien ou chaque âme peut être appelée vierge ; votre sainteté doit se souvenir que l’Église en général, toute composée qu’elle soit de vierges et d’enfants, de maris et de femmes, est désignée sous le nom de vierge au singulier. Comment, le prouver ? Écoute l’Apôtre ; il s’adresse, non pas seulement aux religieuses, mais à cette Église tout entière : « Je vous ai fiancés, dit-il, à un époux unique, au Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure. » Mais comme il faut se garder avec soin du corrupteur de cette espèce de virginité, c’est-à-dire du diable, ces paroles : « Je vous ai fiancés à un époux unique, au Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure », sont suivies immédiatement de ces autres du même Apôtre : « Or je crains que comme le serpent séduisit Eve par son astuce, ainsi vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est dans le Christ[3]. » Peu possèdent sans doute la virginité du corps, mais tous doivent conserver la virginité du cœur. – Mais enfin s’il est bon de s’abstenir des sensations coupables, si cette abstinence même donne à la virginité son nom, si de plus les bonnes œuvres, marquées par les lampes, sont sûrement dignes d’éloges, comment – voyons-nous cinq vierges admises et cinq autres repoussées ? Quoi ! cette âme est vierge, elle porte sa lampe, et elle n’entre point ! Que devient alors cette autre qui n’a pas soin de conserver sa virginité en s’éloignant du mal, et qui marche dans les ténèbres pour ne vouloir point s’exercer aux bonnes œuvres ?
5. C’est donc de cela, mes frères, c’est de cela surtout que nous devons traiter. Ne consentir ni à voir, ni à entendre ce qui est mal, se détourner des odeurs coupables et des coupables aliments des sacrifices païens, éviter tout contact avec une étrangère, partager son pain avec celui qui a faim, donner l’hospitalité au voyageur, et des vêtements à qui n’en a pas, apaiser les querelles,

  1. Mat. 5, 16
  2. Luc. 12, 36
  3. 2Co. 11, 2-3