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Eh ! que sont, au témoignage de l’Apôtre, Pierre et Paul, tous les Apôtres et tous les fidèles ? « Vous êtes, leur dit-il, le corps du Christ, et les membres d’un membre [1]. » Si donc le corps du Christ et ses membres ne font qu’une même personne, garde-toi d’en faire deux. N’a-t-il pas laissé soir père et sa mère pour s’attacher à son épouse et être deux dans une même chair ? Il a laissé son Père, parce qu’il ne s’est point montré sur la terre égal à lui, parce qu’il s’est anéanti en prenant une nature d’esclave. Il a aussi laissé sa mère, la Synagogue, d’où il est né selon la chair. Il s’est enfin attaché à son épouse, c’est-à-dire à son Église[2]. Or en rappelant lui-même un passage de la Genèse[3], le Seigneur prouva que cette union doit être indissoluble. « N’avez-vous pas lu, dit-il, qu’en les formant dès le principe, Dieu les forma homme et femme ? Ils seront deux dans une seule chair, est-il écrit. Que nul donc ne sépare ce que Dieu a uni. » Mais que signifie « Deux dans une seule chair ? » Le voici dans les paroles suivantes : « Ainsi donc ils ne sont plus deux, mais une seule chair[4]. » Tant il est vrai que « nul ne monte au ciel, sinon Celui qui en est descendu ! »
8. Sachez donc que selon l’humanité et non pas selon la divinité, le même homme, le même Christ est à la fois époux et épouse. Je dis selon l’humanité, car selon la divinité nous ne saurions être ce qu’il est ; puisqu’il est le Créateur et nous la créature ; l’ouvrier et nous son œuvre ; l’architecte et nous l’édifice ; et pour nous unir à lui et en lui, il a voulu devenir notre chef en prenant notre chair et afin de mourir pour nous. Sachez donc, je le répète, que le Christ est en même temps tout cela : aussi a-t-il dit par Isaïe : « Il m’a couronné comme l’époux et orné comme l’épouse[5]. » Il est ainsi époux, et épouse ; époux, comme chef, et épouse, dans son corps. N’est-ce pas ce que signifiaient ces mots : « Ils seront deux dans une seule chair ; » et conséquemment, « non pas deux chairs mais une seule ? »
9. Conclusion, mes frères : puisque nous sommes ses membres et puisque nous désirons pénétrer ce mystère, vivons avec piété, comme je l’ai dit, aimons Dieu pour lui-même. Si pour le temps de notre pèlerinage, il fait paraître devant nous sa nature de serviteur, il se réserve de nous montrer sa nature divine quand nous serons parvenus au repos de la patrie. La première nature sera notre chemin, nous trouverons une patrie dans la seconde. Et comme il nous en coûte beaucoup plus de comprendre ce mystère que de le croire ; comme on ne peut comprendre avant d’avoir cru, dit Isaïe [6], marchons à l’aide de la foi, tant que nous voyageons loin du Seigneur et jusqu’à ce que nous soyons parvenus au sein de là lumière où nous le verrons face à face[7]. Or en marchant par la foi, faisons le bien, et pour faire le bien, ayons envers Dieu une affection gratuite et envers le prochain une affection bienfaisante. Nous n’avons rien à donner à Dieu, mais nous pouvons donner au prochain, et nous mériterons, en lui donnant, de posséder Celui qui est l’abondance même. Que chacun donc donne de ce qu’il a ; que chacun verse dans le sein de l’indigent ce qu’il a de superflu. L’un a de l’argent ; qu’il nourrisse le pauvre, donne des vêtements à qui n’en a pas, bâtisse une église, fasse enfin avec son argent tout le bien qu’il peut faire. Un autre a de la prudence ; qu’il dirige son prochain et dissipe, à la lumière de la piété, les ombres du doute. Un autre encore est instruit ; qu’il puise dans les trésors du Seigneur, qu’il distribue de quoi vivre à ses collègues dans le service de Dieu ; qu’il affermisse les fidèles, ramène les égarés, cherche ceux qui sont perdus et fasse enfin tout ce qu’il peut. Les pauvres mêmes peuvent se donner l’un à l’autre. Que celui-ci prête ses pieds au boiteux, que celui-là serve de guide à l’aveugle ; que l’un visite les malades et que l’autre ensevelisse les morts. Ces services sont à la portée de tous, et il serait fort difficile de rencontrer quelqu’un qui n’eût rien à donner. Chacun peut accomplir enfin ce grand du Christ[8]. »

  1. 1Co. 12, 27
  2. Eph. 5, 31-32
  3. Gen. 2, 24
  4. Mat. 19, 4-6
  5. Isa. 61, 10
  6. Isa. 7, 9. Sept
  7. 2Co. 5, 6-7 ; 1Cor. 13, 12
  8. Gal. 6, 9