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en pratiquant la chasteté, la sainteté, la charité et la foi qui agit par amour [1]. Remarquez en passant que toutes ces vertus sont comme un arbre dont les racines sont fixées dans le cœur, car les actes ne sont produits que par les sentiments du cœur ; et en y établissant l’amour-propre, on n’obtient que des épines ; il en sort au contraire de bons fruits si l’on y cultive la charité. Afin donc de faire sentir cette nécessité de purifier le cœur, le Seigneur voyant les Juifs réduits à l’impuissance de répondre à la question qu’il venait de leur adresser, parla aussitôt de leur conduite. Il voulait leur montrer ainsi ce qui les rendait indignes de comprendre le problème qu’il venait de leur soumettre. En effet, ces misérables orgueilleux auraient dû dire, en se voyant incapables de répondre Nous ne le savons ; Maître, instruisez-nous. Mais non contents de ne rien répondre ils ne demandèrent rien. C’est alors que stigmatisant leur orgueil : « Prenez-garde, dit le Seigneur, aux Scribes qui aiment à présider dans les Synagogues et qui recherchent la première place dans les festins[2]. » Leur crime n’est pas de l’accepter, mais d’y tenir. C’était donc ici accuser leurs sentiments secrets. Mais Jésus les eût-il dénoncés, s’il n’en eût été le témoin ? La première place est due dans l’Église au serviteur de Dieu qui est revêtu d’une dignité ; mais ce n’est pas dans son intérêt. Il est donc nécessaire que dans l’assemblée des fidèles, les chefs du peuple occupent des sièges plus élevés, il est nécessaire que le siège même soit une distinction pour eux et mette suffisamment en relief leurs fonctions ; mais ce n’est pas pour leur inspirer de l’orgueil, c’est pour les faire songer à la charge dont ils doivent rendre compte. Or qui sait s’ils aiment ou n’aiment pas ces distinctions ? C’est une affaire qui se passe dans le cœur, elle ne saurait avoir que Dieu pour juge. Le Seigneur donc avertissait ses disciples de s’éloigner de ce mauvais levain. « Gardez-vous, dit-il encore ailleurs, du levain des Pharisiens et des Sadducéens. » Et comme ils s’imaginaient qu’il faisait allusion à ce qu’ils n’avaient pas apporté de pains ; « Avez-vous oublié, reprit-il, combien de milliers d’hommes ont été rassasiés avec cinq pains ? Ils comprirent alors que par levain il entendait la doctrine » de ces Pharisiens et de ces Sadducéens[3]. Ceux-ci en effet aimaient ces sortes de biens temporels, et ils n’aimaient ni ne craignaient soit les biens soit les maux éternels. Leur cœur était fermé de ce côté, et ils ne pouvaient comprendre ce que leur demandait le Seigneur.
6. Que doit donc faire l’Église de Dieu pour comprendre ce que la première elle a mérité de croire ? Qu’elle rende le cœur capable de recevoir ce qui lui sera donné. Or, c’est pour le rendre tel que sans anéantir ses promesses, le Seigneur notre Dieu en a suspendu l’exécution. Et s’il l’a suspendue, c’est pour que nous nous haussions, et qu’en nous haussant nous grandissions, et qu’en grandissant nous y atteignions. Vois comme s’étend, pour y atteindre, l’Apôtre Saint Paul : « Ce n’est pas, dit-il, que j’y aie atteint jusques là ou que je sois parfait. Non, mes frères, je ne pense pas y avoir atteint ; mais seulement, oubliant ce qui est en arrière et m’étendant vers ce qui est en avant, je poursuis mon dessein, je cours à la palme de la céleste vocation de Dieu dans le Christ Jésus [4]. » Il courait donc sur la terre, et la palme était suspendue au ciel. Il courait sur la terre, mais il montait en esprit. Vois comme il s’élève, vois comme il s’élance vers le prix suspendu sous ses yeux. « Je cours, dit-il, vers la palme de la vocation que Dieu me donne au ciel dans le Christ Jésus. »
7. Il faut donc marcher, mais sans se chausser les pieds, sans chercher de monture, sans équiper de vaisseaux. C’est l’affection qui doit courir, l’amour qui doit marcher, la charité qui doit monter. À quoi bon chercher la route ? Attache-toi au Christ, car en descendant et en remontant il s’est fait notre voie. Veux-tu monter ? Attache-toi à lui quand il monte. Car tu ne saurais t’élever par toi-même, « personne ne montant au ciel que Celui qui est descendu du ciel, que le Fils de l’homme qui demeure au ciel[5]. » Mais si nul autre n’y monte que Celui qui en est descendu, et si Celui qui en est descendu est le Fils de l’homme, Jésus Notre-Seigneur, comment dois-tu faire pour y monter si tu en as le désir ? Devenir membre de Celui qui seul y est monté. Car il est le chef et avec ses membres il ne forme qu’un seul homme. Et personne ne pouvant monter si l’on n’est devenu membre de son corps, on voit l’accomplissement de cette parole : « Nul ne monte que Celui qui est descendu. » On ne sautait donc dire : « Si nul ne monte que Celui qui est descendu ; » pourquoi Pierre, par exemple, y est-il monté ? pourquoi Paul, pourquoi les Apôtres y sont-ils montés ? Car on pourrait répondre :

  1. Gal. 5, 6
  2. Mat. 23, 6 ; Mrc. 12, 38-39
  3. Mat. 16, 12
  4. Phi. 3, 12-14
  5. Jn. 3, 13