Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/418

Cette page n’a pas encore été corrigée

pour eux ce fut même peu d’avoir la bouche fermée, ils fermèrent encore l’oreille, et par là ils n’apprirent point la réponse à la question qui venait de leur être adressée inutilement.
3. Mais c’est une grande grâce de pénétrer ce mystère ; de comprendre comment le Christ est à la fois le Seigneur et le fils de David ; comment dans ce Dieu fait homme il n’y a qu’une seule personne ; comment à cause de sa nature humaine il est inférieur à son Père, et comment il est son égal à cause de sa divine nature ; comment il dit en même temps, d’un côté : « Mon Père est plus grand que moi [1] ; » et d’autre part : « Mon Père et moi nous sommes « un[2]. » Or, plus ce mystère est grand, plus il faut, pour le comprendre, savoir régler ses mœurs. Il est fermé pour ceux qui en sont indignes, et ouvert seulement à ceux qui méritent de le connaître ; et ce n’est ni avec des pierres ou des pieux, ni avec le poing où le pied que nous frappons à la porte du Seigneur ; la vie elle-même se charge de frapper, et on lui ouvre si elle est bonne. C’est donc le cœur qui demande, le tueur qui cherche, le cœur qui frappe, et c’est au cœur que l’on ouvre. Mais pour bien demander, pour bien chercher et pour bien frapper, il faut au cœur de la piété. Il faut d’abord aimer Dieu pour lui-même, c’est en cela que consiste la piété ; il faut ne placer en dehors de lui aucune récompense ni l’attendre de sa main, car rien ne lui est préférable. D’ailleurs que peut-on demander à Dieu de précieux quand Dieu même ne suffit pas ? Quoi ! s’il te donne une terre, tu te livres à des transports de joie ! O ami de la terre, n’es-tu pas changé en terre ? Si néanmoins tu te réjouis alors qu’il te fait don d’une terre, combien plus ne dois-tu pas te réjouir quand il se donne lui-même à toi, lui qui a fait le ciel et la terre ? Il faut donc aimer Dieu pour lui-même. Ce qui le prouve encore, c’est qu’ignorant ce qui se passait dans l’âme du saint patriarche Job, le démon éleva contre lui cette grave accusation : « Est-ce pour Dieu même que Job sert Dieu ? »
4. Ah ! si l’adversaire a fait cette accusation contre lui, comment ne pas craindre qu’il la fasse aussi contre nous ? Car nous avons affaire avec ce grand calomniateur ; et s’il né craint pas d’imaginer ce qui n’est point, ne craindra-t-il pas encore moins de reprocher ce qui est ? Réjouissons-nous toutefois, parce que notre Juge ne saurait être trompé par notre accusateur. Si nous avions pour juge un homme, cet ennemi pourrait feindre devant lui tout ce qui lui plairait. Personne, pour feindre, n’est plus rusé que lui ; et maintenant encore, n’est-ce pas lui qui répand contre les saints toutes ces accusations mensongères ? Considérant en effet que ses calomnies n’ont aucune valeur devant Dieu, il les sème au milieu du monde. Mais, hélas ! quel avantage y trouve-t-il encore ? L’Apôtre ne dit-il pas : « Notre gloire, la voici : c’est le témoignage de notre conscience [3] ? » N’en concluez pas toutefois, qu’il ne met aucune adresse dans ces fausses imputations. Il sait le mal qu’elles produisent, quand une foi vigilante ne sait pas y résister. Si en effet il répand du mal sur le compte des bons ; c’est pour persuader aux faibles qu’il n’y a pas d’hommes de bien ; c’est pour les porter à se livrer à leurs passions, à s’y perdre et à se dire en eux-mêmes : Qui donc observe les commandements de Dieu ? qui donc garde la continence ? Et en croyant qu’il n’y a personne, ils deviennent ce qu’ils croient. Tels sont les desseins du démon. Or il était impossible de rien persuader contre Job ; sa conduite était trop connue et trop éclatante. Cependant à cause de ses grandes richesses, le démon lui reproché un crime qui n’aurait pu être que dans le cœur, sans se manifester dans la conduite, lors même qu’il eût été réel. Job servait Dieu et faisait des aumônes ; mais quelles étaient ses intentions ? Nul ne le savait, pas même le diable ; il n’y avait que Dieu pour les connaître. Dieu donc rend témoignage à son serviteur ; mais le diable calomnie le serviteur de Dieu. Dieu permet de le tenter, la vertu de Job est éprouvée, et le démon confondu. Il est ainsi constaté que Job sert et aime Dieu purement pour Dieu même ; il le sert, non pas parce que Dieu lui a donné quelque chose, mais parce que Dieu ne refuse pas de se donner lui-même. « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait : que le nom du Seigneur soit béni[4]. » Le feu de la tentation s’est allumé : mais il a rencontré de l’or et non de la paille ; et sans le réduire en cendres, il a délivré cet or de ses scories.
5. Ainsi donc pour comprendre le grand mystère de Dieu, pour savoir comment le Christ est à la fois Dieu et homme, il faut se purifier le cœur, et on le purifie en purifiant ses mœurs et sa vie,

  1. Jn. 14, 28
  2. Id. 10, 30
  3. 1Co. 1, 12
  4. Job. 1