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ceux qui possèdent ce que n’ont pas les méchants ce sera là la robe nuptiale. Dirons-nous que les sacrements sont cette robe nuptiale ? Mais vous voyez que les méchants y sont admis aussi bien que les bons. Dirons-nous que c’est le baptême ? Sans le baptême, à la vérité, nul n’arrive à la jouissance de Dieu ; mais cette jouissance est loin d’être assurée à quiconque a reçu le baptême ; et la robe du baptême se trouvant portée par des méchants comme par les bons, le sacrement de baptême n’est pas assurément la robe nuptiale. Serait-ce l’autel ou plutôt ce qu’on y reçoit ? Mais nous savons que beaucoup y mangent et y boivent leur condamnation. Qu’est-ce donc ? Le jeûne ? Mais les méchants jeûnent aussi. La fréquentation de l’Église ? Les méchants y viennent également. Serait-ce enfin le don des miracles ? Non-seulement les méchants en font comme les bons ; il arrive quelquefois aux bons de n’en pas faire. Voyez l’histoire de l’ancien peuple : les Mages de Pharaon nous y sont représentés faisant des miracles [1], tandis que les Israélites n’en faisaient pas ; car parmi eux il n’y avait pour en faire que Moïse et Aaron ; le reste du peuple se contentait de les regarder, de trembler et de croire. S’imaginera-t-on que les Mages de Pharaon, en faisant des miracles, valaient mieux que le peuple d’Israël qui ne pouvait en faire et qui ne laissait pas d’être le peuple de Dieu ? Au sein de l’Église même, que dit l’Apôtre ? « Tous, sont-ils prophètes ? Tous ont-ils la grâce de guérir ? Tous parlent-ils les langues ?[2] »

6. Qu’est-ce donc que la robe nuptiale ? Le voici : « La fin des préceptes est la charité qui vient d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère[3]. » Voilà la robe nuptiale. Ce n’est pas une charité telle quelle ; car il est beaucoup d’hommes qui paraissent s’aimer, quoique leur conscience soit en mauvais état. Ainsi ceux qui commettent ensemble des brigandages, qui exercent ensemble des maléfices, qui courent ensemble les histrions et ; qui ensemble applaudissent des cochers et des gladiateurs, s’affectionnent souvent : mais ils n’ont pas « la charité qui vient d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère », et cette charité est la robe nuptiale.

« Quand je parlerais les langues des hommes et des Anges, si je n’ai pas la charité, est-il dit, je suis comme un airain sonnant ou une cymbale retentissante. » On a reçu le don des langues ; ce don seul n’empêche donc pas de dire : Pourquoi êtes-vous entrés ici, sans la robe nuptiale ? « Et quand j’aurais le don de prophétie, que je connaîtrais tous les mystères et toute la science ; quand j’aurais toute la foi, au point de transporter les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien. » Ne voit-on pas ici les miracles de ces hommes qui souvent n’ont pas la charité ? En vain, dit l’Apôtre, je pourrais les opérer tous, je ne suis rien si je ne suis pas uni au Christ. « Je ne suis rien. » S’ensuit-il que la prophétie ne soit rien ? que la science des mystères ne soit rien ? Non assurément ; mais c’est moi qui ne suis rien, si je possède ces dons sans posséder la charité. Que de biens inutiles s’il en manque un, un seul ? Je puis, sans la charité, distribuer mes biens aux pauvres, confesser le nom du Christ jusqu’à verser mon sang et me faire consumer par la flamme, car on peut faire tout cela par amour de la gloire ; mais alors tout cela est vain. Et comme l’amour de la gloire peut rendre vaines toutes ces actions, que la divine charité aurait rendues si riches, l’Apôtre en parle aussi ; voici ses paroles : « Quand je distribuerais tous mes biens pour être la nourriture des pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, cela ne me sert de rien [4]. » Voilà bien la robe nuptiale.

Examinez-vous : si vous l’avez, soyez en paix au festin du Seigneur. Il y a deux choses dans l’homme : la charité et l’amour de soi. Si tu n’as pas encore la charité, fais-la naître ; et si tu l’as, nourris-la, développe-la, fais-la croître. Quant à l’amour-propre, on ne peut sans doute l’anéantir complètement en cette vie ; « car si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n’est point en nous. » Mais si la mesure de notre amour-propre est la mesure de nos péchés, faisons croître la charité et décroître l’amour-propre, menons l’une à sa perfection et l’autre à son anéantissement. Revêtez-vous donc de la robe nuptiale, vous, dis-je, qui ne l’avez pas encore. Vous êtes déjà dans la salle du festin, vous vous approchez de la table sainte, et vous ne portez point le vêtement que réclame l’honneur de l’époux ! vous cherchez encore vos intérêts et non ceux de Jésus-Christ ! La robe nuptiale est destinée à honorer l’union conjugale, à honorer l’époux et l’épouse. Vous connaissez l’époux, c’est le Christ ; l’épouse, c’est l’Église. Soyez pleins d’égard pour l’un et

  1. Exo. 7-8
  2. 1Co. 12, 29-30
  3. 1Ti. 1, 5
  4. 1Co. 13, 1-3