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de ne pas chercher les bons en dehors et de tolérer en dedans les méchants ; car à qui me serais-je adressé s’il n’y avait pas de bons, et si tous l’étaient, comment aurais-je pu inviter à souffrir les méchants ? Commençons donc avec l’aide du Seigneur, à résoudre cette question. À prendre la bonté dans toute sa perfection, il n’y a réellement que Dieu pour être bon. Le Seigneur le dit de la manière la plus expresse : « Pourquoi m’interroger sur ce qui est bon ? Dieu seul est bon[1]. » Mais s’il n’y a que Dieu pour être bon, comment se trouve-t-il à ces noces divines des bons avec les méchants ? Sachez d’abord que sous certain rapport nous sommes tous mauvais. Oui, sous un rapport nous sommes tous mauvais ; et sous un autre rapport nous ne sommes pas tous bons. Pouvons-nous en effet nous comparer aux Apôtres ? Et pourtant le Seigneur leur disait : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants. » Il y avait sans doute, au témoignage des Écritures, un Apôtre mauvais parmi les douze ; c’est à lui que le Sauveur faisait allusion dans ces mots : « Vous êtes purs, mais non pas tous[2]. » Quand néanmoins il s’adresse à tous en général, il leur dit : « Si vous qui êtes mauvais. » Alors étaient présents et Pierre, et Jean, et André, et tous les autres qui faisaient partie des onze Apôtres fidèles ; c’est à eux qu’il fut dit : « Si, tout mauvais que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui les lui demandent ? » Ils devaient se décourager, en s’entendant dire qu’ils étaient mauvais; mais aussi devaient-ils respirer, en entendant que dans les cieux ils avaient Dieu pour père. « Tout mauvais que vous êtes », dit le Sauveur. Mais quand on est mauvais, que peut-on attendre autre chose que des châtiments ? « Combien plus, poursuit-il, votre Père qui est dans les cieux ! » Mais un enfant ne doit-il pas espérer des encouragements de son père ? Ainsi la qualification de mauvais inspire la crainte des supplices, et le titre d’enfants ranime l’espérance d’un héritage.

3. En quoi donc étaient mauvais ces Apôtres qui sûrement étaient bons à quelque point de vue ? Car s’il leur fut dit : «Tout mauvais que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants ; » il fut ajouté immédiatement : « Combien plus votre Père qui est dans les cieux ;[3] » et si Dieu a des enfants mauvais, il ne faut pas désespérer de leur sort, car il est aussi médecin pour les guérir. Oui donc ils étaient mauvais sous certain rapport ; j’estime toutefois que si ces convives, admis par le Père de famille aux noces du Roi son fils, comptaient parmi ceux dont il est écrit. « On invita les bons et les méchants ; » toutefois on ne doit pas les confondre avec ces mauvais que nous avons vu chasser du festin dans la personne de ce malheureux qui n’avait point la robe nuptiale. En quoi, dis-je, étaient mauvais ces bons ? et en quoi bons ces mauvais ? Écoute Jean, il t’apprendra en quoi ils étaient mauvais : « Si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous. » Voilà ce qui les rendait mauvais, c’est qu’ils n’étaient pas sans péché. En quoi maintenant étaient-ils bons ? « Si nous confessons nos péchés, Dieu est fidèle et juste pour nous les pardonner, et pour nous purifier de toute iniquité [4]. » Mais pouvons-nous appliquer ici cette interprétation qui s’appuie, vous le voyez sans doute, sur l’autorité de l’Écriture, et dire que les mêmes hommes étaient à la fois bons et mauvais, bons sous un rapport et mauvais sous un autre ? Pouvons-nous expliquer dans ce sens ces paroles : « On invita les bons et les méchants », c’est-à-dire des hommes qui étaient à la fois bons et méchants ? Non, ce sens n’est pas admissible ; car il y a ici un convive qui fut découvert sans la robe nuptiale et non-seulement éloigné du festin, mais encore condamné, dans les ténèbres, à l’éternel supplice.

4. Quoi ! dira-t-on ; mais il ne s’agit ici que d’un homme ; et qu’y a-t-il d’étrange, qu’y a-t-il de surprenant que les serviteurs du Père de famille aient par mégarde laissé entrer dans la foule un homme qui n’avait point l’ornement nuptial ? La présence de cet homme suffirait-elle pour justifier ces expressions : « On invita les bons et les méchants ? » — Appliquez-vous, mes frères, et saisissez bien ma pensée. Cet homme représentait toute une catégorie ; car il y en avait beaucoup comme lui[5]. – Je me soucie peu de tes conjectures, m’objectera ici un auditeur attentif : prouve-moi qu’un faisait plusieurs. — Le Seigneur m’aidera et je le prouverai clairement, sans même chercher loin mes preuves ; car avec la grâce de Dieu je porterai la lumière dans sa parole et lui-même vous fera connaître par moi la vérité avec évidence. Voyons.

  1. Mat. 19, 17
  2. Jn. 13, 10
  3. Mat. 7, 11
  4. Jn. 1, 8-9
  5. Ci-dessous, serm. XCV