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donc dit que « beaucoup viendront d’Orient et d’Occident et prendront place avec Abraham et Isaac dans le royaume de Dieu[1]. » Donc, encore une fois, le bon grain et l’ivraie croissent jusqu’à la moisson ; et s’il y a dans les Écritures des passages particuliers qui s’appliquent à l’ivraie ou à la paille, il en est d’autres pour le bon grain. Ne pas les comprendre, c’est tout confondre et mériter d’être confondu ; c’est se laisser tellement emporter aux aboiements d’une passion aveugle, que l’éclat même de la vérité ne saurait imposer silence.
23. Voici, reprennent-ils, des paroles d’un prophète : « Éloignez-vous, sortez de là, ne touchez point ce qui est impur[2]. » Comment souffrir les méchants pour conserver la paix, puisqu’il nous est commandé de sortir, et de nous éloigner, d’eux pour ne toucher pas ce qui est impur ? Nous, mes frères, nous entendons cet éloignement dans un sens spirituel, et eux, dans un sens matériel. Moi aussi je crie avec le prophète ; quoique nous soyons, Dieu nous emploie comme des instruments à votre service, et nous vous crions, nous vous disons : « Éloignez-vous, sortez de là, ne touchez pas ce qui est impur ; » évitez de le toucher, non de corps, mais de cœur. Qu’est-ce que toucher ce qui est impur, sinon consentir aux péchés d’autrui ? Et qu’est-ce qu’en sortir, sinon faire ce que réclame la correction des méchants, et autant que chacun en est capable dans sa dignité et son rang, et sans altérer la paix ? Tu es fâché de voir cet homme pécher : tu n’as point touché ce qui est impur. Tu l’as réprimandé, tu l’as corrigé, tu l’as averti, tu as même eu recours, selon le besoin, à un châtiment convenable mais sans rompre l’unité : tu en es sorti. Examinez ce qu’ont fait les saints, car nous ne voulons point paraître vous donner ici notre interprétation particulière, et nous devons entendre ce passage comme ils l’ont entendu. « Sortez de là », dit le prophète. J’explique d’abord cette parole d’après le sens qu’on lui donne habituellement ; je montre ensuite que ce n’est pas un sentiment qui me soit personnel. Il arrive souvent que des hommes soient accusés, et qu’étant accusés ils se défendent. Or lorsqu’un accusé s’est défendu en s’appuyant sur la raison et sur la justice, ceux qui l’ont entendu se disent : Il en est sorti. Comment est-il sorti ? En s’appuyant sur la raison, en faisant une défense pleine de justice. N’est-ce pas ce que faisaient les saints en secouant la poussière de leurs pieds contre ceux qui n’acceptaient point la paix qu’ils leur annonçaient [3] ? Elle en est sortie cette sentinelle à qui il avait été dit : « Je t’ai établi comme une sentinelle pour la maison d’Israël. Si tu parles à l’impie et qu’il ne renonce ni à l’iniquité, ni à sa voie, cet impie mourra dans son iniquité et tu délivreras ton âme[4]. » Si elle agit ainsi, elle en sort, non en se séparant extérieurement, mais en faisant ce qui lui sert de défense. Cette sentinelle a rempli son devoir, bien que l’impie n’ait pas obéi comme il aurait dû. La sentinelle en est donc sortie.
24. Ainsi nous crient de sortir et Moïse, et Isaïe, et Jérémie et Ézéchiel. Voyons si eux-mêmes sont sortis en abandonnant le peuple de Dieu et en se réfugiant au milieu des autres nations. Combien de fois et avec quelle véhémence Jérémie ne s’est-il pas élevé contre les pécheurs et coutre les impies dans Israël ! Il vivait néanmoins au milieu d’eux, entrait dans le même temple et célébrait les mêmes mystères ; oui, il vivait au milieu de ce mélange d’hommes pervers ; mais il en sortait en criant contre leurs désordres. Sortir de là, ne pas toucher ce qui est impur, signifie donc que la volonté ne doit pas consentir au mal, ni la bouche l’épargner. Que dirai-je de Jérémie, d’Isaïe, de Daniel, d’Ézéchiel et des autres prophètes ? Ils n’ont pas quitté ce peuple pervers ; craignant de se séparer des bons mêlés aux méchants, parmi lesquels eux-mêmes aussi étaient parvenus à se sanctifier. Au moment même où Moïse recevait la loi au sommet de la montagne, vous savez, mes frères, que le peuple resté au bas se fit une idole. C’était le peuple de Dieu, le peuple conduit à travers les flots dociles de la mer rouge qui avait englouti l’armée égyptienne poursuivant Israël : eh bien ! après tant de prodiges et de si étonnants miracles qui avaient semé en Égypte des châtiments et la mort, protégé et sauvé les Hébreux, ceux-ci ne laissèrent pas de demander une idole, de l’obtenir par violence, de la fabriquer, de l’adorer, de lui sacrifier même. Dieu fait connaître ce crime à son serviteur et lui annonce en même temps qu’il va faire disparaître les coupables de devant sa face. Moïse intercède avant de rejoindre ce peuple. C’était bien l’occasion de s’éloigner de ce milieu, comme disent les Donatistes,

  1. Mat. 8, 11
  2. Isa. 52, 11
  3. Luc. 10, 11
  4. Eze. 3, 17-19