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Bientôt s’émeuvent les parents, les alliés, les amis. Quelle folie ! s’écrient-ils. Quel homme extrême ! Les autres ne sont-ils pas chrétiens ? C’est une vraie folie, c’est de la démence. Voilà les propos que crie la foule pour empêcher les aveugles de crier. Là foule aussi voulait alors imposer silence, mais elle n’étouffait pas les cris de ces aveugles. Vous qui voulez guérir, apprenez ici ce que vous avez à faire.D'un côté sont ceux qui honorent Dieu du bout des lèvres, tandis que leur cœur est loin de lui [1]. D’autre part je vois près du chemin des cœurs blessés à qui le Seigneur fait ses prescriptions. Toutes les fois en effet qu’on lit devant nous les actions temporelles du Seigneur, nous voyons en quelque sorte passer Jésus, et jusqu’à la fin du monde il y aura de aveugles assis près du chemin. C’est à ceux-ci de crier. La, foule qui accompagnait le Seigneur voulait empêcher de crier ces malheureux qui demandaient la guérison de leurs yeux. Mes frères, comprenez-vous ma pensée ? Je ne sais comment m’exprimer ; moins encore je ne sais comment me taire. Voici donc ma pensée, et je l’énonce hautement ; car je crains Jésus, soit qu’il passe, soit qu’il demeure, et pour ce motif je ne saurais me taire. Les bons chrétiens, les chrétiens vraiment zélés qui cherchent à accomplir les divins préceptes consignés dans l’Évangile, rencontrent un obstacle dans les chrétiens mauvais et tièdes. C’est la foule, accompagnant le Seigneur, qui les empêche de crier, c’est-à-dire qui les empêche de faire le bien, de persévérer et conséquemment de guérir. Mais qu’ils crient, sans se lasser, sans se laisser entraîner par l’autorité de la foule, sans imiter ces mauvais chrétiens qui les précèdent et qui leur portent envie à cause de leurs vertus. Qu’ils se gardent de dire : Vivons comme eux, ils sont en si grand nombre ! – Pourquoi ne vivre pas plutôt comme le veut l’Évangile Pourquoi vouloir écouter les reproches de la foule qui arrête et ne marcher pas sur les traces du Seigneur qui passe ? Ils t’insulteront, ils te blâmeront, ils te détourneront ; mais crie, crie jusqu’à ce que tu sois entendu de Jésus. Si en effet l’on continue à pratiquer ce qu’a prescrit le Sauveur, sans faire attention aux clameurs de la multitude, sans s’inquiéter de ce qu’on y semble suivre le Christ, puisque l’on y porte le nom de chrétiens ; si d’ailleurs on estime la lumière que doit rendre le Sauveur, plus qu’on ne redoute le blâme du public ; non, Jésus ne délaissera point, il s’arrêtera et guérira.
14. Mais comment guérir cet œil intérieur ? – La foi nous montre le Christ passant pour la dispensation temporelle de ses grâces, que la foi nous le montre aussi s’arrêtant dans l’immuable éternité. La guérison de la vue intérieure consiste donc à fixer la divinité du Christ. Que votre charité le comprenne bien, remarquez d’ailleurs le mystère profond que je vais indiquer. Toutes les actions temporelles de Jésus-Christ Notre-Seigneur contribuent à nous donner la foi. Nous croyons au Fils de pieu ; nous voyons en lui, non-seulement le Verbe qui a tout fait, mais encore le Verbe fait chair pour habiter au milieu de nous, le Christ né de la Vierge Marie ; nous croyons aussi tous les évènements que la foi nous enseigne de lui et qui se sont accomplis ostensiblement comme pour nous montrer le Christ à son passage et afin qu’en entendant le bruit de ses pas, les aveugles se mettent à crier par leurs œuvres, à répondre par leur vie à leur profession de foi. Jésus alors s’arrête pour les guérir ; car c’est voir Jésus s’arrêter que de dire : « Eussions-nous connu le Christ selon la chair ; maintenant nous ne le connaissons plus ainsi [2] ; » car c’est voir sa divinité autant qu’il est possible en ce monde. Dans le Christ en effet il y a la divinité et il y a l’humanité. La divinité s’arrête, l’humanité passe. La divinité s’arrête ; qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire qu’elle ne change point, que rien ne l’ébranle, que rien ne l’altère. En venant à nous elle ne s’est pas éloignée du Père et en remontant vers lui, elle n’a pas changé de lieu. Le Christ considéré dans sa chair a changé de lieu ; mais la divinité qui s’est unie au corps n’en a point changé, puisqu’aucun lieu ne saurait la circonscrire. Que le Christ donc s’arrête ainsi et nous touche pour nous rendre la vue. Nous rendre la vue, pourquoi ? Parce que nous crierons à son passage, c’est-à-dire parce que nous ferons le bien, éclairés par cette foi qui a été annoncée dans le temps pour l’instruction des petits.
15. Et ces yeux une fois guéris, nous sera-t-il possible, mes frères, de posséder jamais un plus riche trésor ? On est heureux de voir cette lumière créée qui tombe du ciel ou que répandent les flambeaux ; combien semblent malheureux ceux

  1. Isa. 29, 13
  2. 2Co. 5, 6