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Ton âme est invisible dans ton corps, et pour se montrer elle prononce une parole. Mais cette parole où se révèle ton âme n’en est pas la substance, elle en diffère, et néanmoins ton âme se montre dans ce qu’elle n’est pas. Ainsi Dieu a pu se manifester dans le feu sans être le feu ; dans la fumée sans être la fumée ; et dans le bruit sans être le bruit. Rien de cela n’est Dieu, mais un témoignage qui le rappelle. En nous conformant à ces principes, il n’y a aucun danger à croire que le Fils de Dieu a pu apparaître à Moïse et se nommer à la fois le Seigneur et l’Ange du Seigneur.
5. La seconde opinion enseigne que c’était véritablement un Ange du Seigneur, non pas le Christ, mais un Ange envoyé par Dieu. Il faut donc lui demander pourquoi cet Ange est nommé le Seigneur. A c’eux qui soutiennent que c’était le Christ on demande pourquoi il est appelé Ange ; à ceux qui estiment que c’était un Ange il convient de demander aussi pourquoi il est désigné sous le nom de Seigneur. Je l’ai rappelé déjà, les premiers se tirent d’embarras en observant que s’il est appelé Ange, c’est qu’un prophète a dit expressément que le Christ Notre-Seigneur est l’Ange du grand conseil ; les seconds doivent donc expliquer également comment un Ange a pu être appelé le Seigneur. Or voici comment ils répondent : Quand un prophète parle dans l’Écriture, on dit que c’est le Seigneur qui parle, non que le Seigneur soit le prophète, mais parce que le Seigneur est dans le prophète. De la même manière, lorsque le Seigneur daigne s’exprimer par l’organe d’un Ange, comme il s’exprime par l’organe d’un Apôtre, d’un Prophète, cet Ange conserve, à cause de lui-même, son nom propre d’Ange, et on le nomme Seigneur, à cause de Dieu qui habite en lui. Paul assurément était un homme et le Christ est Dieu. Paul dit néanmoins : « Voulez-vous éprouver celui qui parle en moi, le Christ [1] ? » Un prophète dit aussi. « J’écouterai comment parlera, en moi le Seigneur Dieu[2] » Celui qui parle dans l’homme est le même qui parle dans l’Ange : Voilà pourquoi on peut soutenir que ce fut l’Ange du Seigneur qui apparût, à Moïse et qui dit : « Je suis l’Être. » Ce n’est pas la voix du temple, mais de celui qui l’habite.
6. Mais si ce personnage qui porte le nom d’Ange était le Christ parce qu’il se trouvait seul ; n’est-il pas vrai que trois Anges se montrèrent à Abraham ? Comment répondre ? Ils étaient trois, et comme si Abraham ne parlait qu’à un seul, il dit : Seigneur. Que répondre encore ? Pourquoi étaient-ils trois ? Était-ce alors la divine Trinité ? Mais pourquoi dire : Seigneur ? – Parce que la Trinité est un seul Seigneur, et non pas trois Seigneurs ; un seul Dieu et non trois ; une seule nature en trois personnes. Car le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père, et l’Esprit n’est ni le Père ni le Fils. Le Père n’a qu’un Fils, le Fils n’a qu’un Père et l’Esprit-Saint est l’Esprit du Père et du Fils. Il est vrai néanmoins,.quelques-uns prétendent que parmi les trois personnages l’un s’élevait au-dessus des autres ; c’est celui-là qu’Abraham appelait Seigneur, il apparaissait entre deux comme le Christ entre ses Anges. Mais quoi ? N’y en eut-il pas deux seulement qui furent envoyés à Sodome et qui apparurent à Lot frère d’Abraham ? Lot cependant reconnut en eux la divinité, et quoiqu’il en vit deux, il dit Seigneur, au singulier [3]. Ainsi dans les trois Anges, Abraham reconnaît le Seigneur, Lot le reconnaît également dans deux. Ne séparons pas la Trinité, ne faisons pas une dualité dans Sodome ; et il est mieux, je pense, de croire que nos Pères adoraient le Seigneur dans ses Anges l’habitant divin dans sa demeure ; ils rendaient gloire, non aux porteurs mais à Celui qu’ils portaient. Ce sentiment est confirmé par l’Épître aux Hébreux. Il y est dit : « Si la parole annoncée pas les Anges est demeurée ferme[4]. » L’auteur ici faisait mention du vieux Testament ; il le recommande en observant que les Anges y parlaient : mais on honorait Dieu dans ses Anges et l’on écoutait en eux Celui qui demeurait en eux. Étienne fournit aussi une preuve dans les Actes des Apôtres. Il accuse et réprimande les Juifs : « Durs de tête, leur dit-il, incirconcis de cœur et d’oreilles. » Durs de tête, épines incombustibles. « Toujours vous résistez à l’Esprit-Saint. » Si donc le buisson ne brûlait pas, c’est que ses épines, symboles d’iniquités, refusaient de s’enflammer sous le feu du Saint-Esprit. «Toujours ; vous résistez à l’Esprit-Saint. Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils pas mis à mort ? De là vient que vous avez reçu la loi par le ministère des Anges et que vous ne l’avez point gardée[5]. » S’il disait de l’Ange et non des Anges; quelques-uns prétendraient qu’il s’agit du Christ appelé l’Ange du grand conseil. Le Christ peut

  1. 2 Cor. 13, 3
  2. Ps. 84, 9
  3. 18, XIX
  4. Héb. 2, 2
  5. Act. 7, 51-53